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DE L’AMOUR[1]


Ma marraine parlait à M. Lesec. Elle disait :

— L’amour ? L’amour de l’homme pour la femme, je ne sais ce que c’est et j’ai toujours pensé que c’était bien peu de chose. Mais l’amour de la femme ! cet amour qui, né dans le silence, s’est glissé mystérieusement dans son sein, ignoré de celui qui l’inspira, ignoré de celle même qui l’éprouve, qui bientôt, grandissant, comme un enfant capricieux et mutin, fait naître les soucis et les larmes, qui, jaloux, injuste, exigeant, mais encore caché, commence à se révéler seulement

  1. George Sand, dans l’Histoire de Ma vie, parle d’un roman d’elle « qui n’a jamais vu le jour ». « L’ayant lu, dit-elle, je me convainquis qu’il ne valait rien, mais que j’en pourrais faire de moins mauvais, et qu’en somme il ne l’était pas plus que beaucoup d’autres qui faisaient vivre plus ou moins mal leurs auteurs. » Ce premier roman, écrit vers 1828, c’est la Marraine. Pour ne pas valoir à coup sûr Indiana ou Valentine, la Marraine n’en est pas moins un très curieux livre. Cette mystérieuse et romanesque « Marraine », c’est George Sand elle-même, George Sand à vingt-quatre ans, mariée et mal mariée depuis six ans, attristée et choquée des réalités qui l’entourent, et se réfugiant dans la vie intérieure. Le roman abonde en digressions, à la façon de Montaigne, où la jeune femme développe ses sentiments plus que ses idées, et ses rêves encore plus que ses sentiments. En attendant l’apparition du livre, on a bien voulu en détacher, pour la Revue de Paris, le chapitre intitulé De l’Amour. N’est-il pas d’un haut intérêt de connaître quelles étaient, à ce moment, sur l’amour, les pensées et les aspirations de cette grande âme, — avant les romans écrits et les romans vécus ?