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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

Le coup d’État fut le coup de mort pour la doctrine de la séparation des pouvoirs en France. Napoléon III rétablit d’abord le mécanisme du premier Empire ; puis, quand il se décida à renoncer au pouvoir absolu, ce fut pour faire évoluer la Constitution française dans le sens du régime parlementaire anglais, devenu définitivement le type favori de tous les libéraux monarchiques. Les libéraux français s’amusèrent encore à taquiner le gouvernement impérial en réclamant contre la justice administrative au nom de la distinction des pouvoirs. Le bruit fut très fort vers la fin de l’Empire et pendant les premières années après la guerre, il dura jusque vers 1881[1], puis il se tut. On commençait à s’apercevoir que les tribunaux administratifs expédiaient les affaires d’une façon moins lente, moins coûteuse et plus moderne que les tribunaux ordinaires encombrés d’une procédure organisée sous Philippe le Bel, et qu’ils n’étaient ni plus ni moins indépendants.

L’Assemblée nationale de 1871 parlait encore avec respect de la séparation des pouvoirs. Quand on discuta la réforme du Conseil d’État, M. Bardoux dit : « La politique est une science, elle a des principes immuables, et l’un de ces principes est précisément la séparation des pouvoirs » (19 février 1872). Mais lorsqu’il s’agit de fabriquer une constitution réelle, on mit de côté le principe immuable, et on se borna a accommoder le régime parlementaire anglais aux besoins d’une société démocratique, en limitant les pouvoirs du président et en prescrivant la procédure à suivre en cas de conflit. Quelques années après, l’Académie des sciences morales mettait au concours la question de la séparation des pouvoirs ; l’auteur du mémoire couronné, M. Saint-Girons n’osa pas déclarer ouvertement que la doctrine était morte, mais il cita des faits qui le prouvaient.

En Allemagne, la théorie était depuis longtemps abandonnée même par les juristes. Un des auteurs de droit constitutionnel les plus respectés, Mohl écrivait dès 1855 : « Il n’est pas besoin d’une grande dépense de pénétration et de savoir pour montrer que cette doctrine de Montesquieu dans ses points principaux est ou franchement inexacte, ou du moins

  1. V. Laboulaye, Jousserandot, Fuzier-Herman.