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LA REVUE DE PARIS

devenir la règle constitutionnelle de l’Amérique. Les nouvelles républiques hispano-américaines, en quête de constitutions toutes faites pour remplir le vide fait par l’expulsion du gouvernement espagnol, adoptèrent les formes de leur sœur aînée, la république des États-Unis : elles créèrent des présidents et des congrès. Mais entre ces pouvoirs à noms américains s’établirent des rapports empruntés au régime anglais et contraires à la doctrine américaine de la séparation. Les petits États : Chili, Pérou, Bolivie, Équateur, Paraguay, Uruguay, et chacune des cinq républiques de l’Amérique centrale après la dissolution de la confédération, s’organisèrent en gouvernements centralisés où l’autorité, dans les moments où elle ne fut pas absorbée tout entière par un dictateur légal ou révolutionnaire, s’exerça au moyen d’un ministère à la mode anglaise admis dans le congrès, responsable devant lui, préparant le budget et les lois. Les grands pays qui finirent par s’organiser en États-Unis (Mexique, Venezuela, Colombie, Argentine), eurent beau copier textuellement la constitution américaine de 1787, y compris les noms de cour suprême et de secrétaires ; leur cour suprême n’est jamais devenue un pouvoir indépendant des autres, et leurs secrétaires sont restés des ministres du président à l’anglaise, en contact permanent avec le congrès qu’ils dirigent.

Cependant la doctrine de la séparation des pouvoirs regagnait du terrain en France. La popularité des hommes de 89 qu’on commençait à opposer aux hommes de 93 rendait populaire leur doctrine favorite. Les attaques des absolutistes, de Bonald et de Saint-Roman, ne pouvaient que la consolider, en la présentant comme l’ennemie du despotisme. La mode s’établit dans le monde libéral de parler avec respect de la séparation des pouvoirs et de dénoncer comme un abus intolérable la « confusion des pouvoirs ». Les écrivains du parti reprirent la théorie de la séparation pour la compléter, en même temps qu’ils soutenaient dans la pratique l’organisation anglaise du gouvernement par collaboration. Guizot, partisan du régime anglais interprété à la façon tory, admettait pourtant les trois pouvoirs de Montesquieu en leur adjoignant un pouvoir administratif. Benjamin Constant, partisan du régime anglais interprété dans le sens whig, découvrait un quatrième