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la revue de paris

million cinq cent mille francs sont venus de San-Francisco adoucir les maux de nos soldats… mais notre place est prise. Encore un pays que la nature et le hasard avaient orienté vers l’influence et le génie français et que nous avons maladroitement perdu ! Nous devrions au moins honorer une grande pensée et un noble caractère en élevant un petit bout de statue au comte de Raousset-Boulbon.

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Il vous est loisible de relire ces choses en visitant vous-même les lieux qui en furent le théâtre : le récit sera autrement éloquent que le mien.

Toutes les missions ne sont pas ruinées : il y en a dont les chapelles, à demi restaurées, servent de paroisses. On y voit encore des peintures enfantines et des statues contournées représentant la Vierge en robe à paniers ou les saints en abbés de cour. Quand, au matin, par une aurore empourprée, ou bien à l’angélus du soir, la cloche, apparente au-dessus de la façade dentelée, se met à tinter doucement, elle évoque les pauvres Indiens raclant le sol avec leurs instruments primitifs, les lourds chariots aux roues massives, la sentinelle montant, autour de l’enceinte, une garde fantaisiste, et les longues processions avec les cierges de cire et les images de bois doré. Vous trouverez la mission de Monterey discrètement cachée derrière un repli de terrain et se mirant dans un étang bordé de roseaux à fleurs blanches ; celle du Carmel, proche de la baie où, comme au temps des Franciscains, les vagues caressent sans contrainte la belle plage arrondie sans que nul bruit humain interrompe leur rythme musical. Dans les chemins poussiéreux, vous croiserez des hommes à cheval qui chantent des paroles yankees, sur des airs espagnols, et poussent devant eux des bestiaux. Ces hommes ont la chemise ouverte sur la poitrine nue : leur déshabillé est artistique et chacun de leurs mouvements charme par la grâce inconsciente dont il est empreint.