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ascèse personnelle et fut heureux dans la règle qu’il s’était faite. Peut-être quelques amis partagèrent-ils ses goûts. L’invention, l’initiative religieuse étaient à cette époque d’une hardiesse qui nous étonne. On osait tout. Jésus, fondateur de religion, na pas été en son temps une apparition isolée. El la portée de ce que peut oser l’agada, qui donc peut se vanter de l’avoir mesurée ?

Dichtung und Wahrheit ! voilà bien le traité de la vie contemplative, livre éminemment subjectif, mélange bizarre de vérité et de traits fuyants, sans consistance, décelant l’œuvre d’imagination, roman philosophique, ou, si l’on veut, tableau fait par un homme qui voyait le monde a travers ses rêves. C’était bien le cas de Philon. Ses thérapeutes sont tous des Philon, nobles, polis[1], pleins d’antipathie pour les pédants grossiers, parfaits de manière. Nulle part on ne sent le peuple, la foule laïque. Cela n’a jamais sérieusement existé. Ce couvent philosophique où, dans une cellule large de quelques mètres carrés, on eût philosophé depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, eût été une annexe de la Morgue. Les gens bien élevés qui s’y seraient enfermés seraient morts en quelques semaines d’inanition et de névrose.

Nous pensons donc que le traité de la Vie contemplative fut écrit par Philon comme un appendice du traité Que tout honnête homme est libre[2] où il est longuement question des esséniens de Palestine. Cette brillante manifestation du judaïsme, si analogue à ses idées, excite chez lui une sorte de jalousie, et lui inspire le désir de montrer que l’Égypte n’était pas, sous ce rapport, au-dessous de la Palestine. Avec quelques éléments réels, il dressa un tableau que l’histoire aurait tort d’accepter comme un vrai document. Dans l’exposé de l’essénisme, il ne faut faire aucun usage du traité de la Vie contemplative : le mot même de thérapeute doit être banni d’une histoire du judaïsme comme désignant un institut distinct, ayant existé en dehors des aspirations de Philon. Ce qui sort de ces pages singulières,

  1. "AvÔpwTzoï àdtsiot xai sùyaviiç, § 9, deux fois.
  2. Un trait remarquable c’est la préoccupation de l’esclavage dans De Vita cont., (surtout § 2 et § 9), préoccupation dominante aussi dans Quod Omnis Probus Liber.