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dents. Son projet était d’envoyer l’officier de police beaucoup plus loin qu’aux îles Andaman[1], mais il fut attrapé par Tietjens. Le crime fut prouvé devant le tribunal et l’assassin fut pendu. À partir de cette date, Tietjens porta un collier d’argent, et sur sa couverture de nuit fut brodé un monogramme. La couverture était en cachemire double : car Tietjens était une chienne délicate.

Jamais elle ne voulait se séparer de Strickland ; et, quand il eut la fièvre, elle gêna beaucoup les médecins, parce qu’elle ne permettait à personne de s’approcher du malade. Macarnaght, du service médical indien, tapa sur la tête de Tietjens avec un fusil ; elle comprit alors qu’elle devait céder la place à ceux qui pouvaient donner la quinine.

Peu de temps après que Strickland eut élu domicile dans le bungalow d’Imray, je fus obligé par mes affaires de me rendre à cette station. Les chambres du club étaient occupées ; naturellement, je m’installai chez Strickland. Ce bungalow était à souhait, avec huit pièces et une bonne toiture, qui ne laissait point passer la pluie. Une toile tendue sous la charpente faisait l’effet d’un vrai plafond blanc. Le propriétaire avait tout fait repeindre quand Strickland loua le bungalow. À moins de savoir comment les bungalows indiens sont bâtis, vous ne vous seriez jamais douté qu’au-dessus de la toile il y avait la caverne sombre et élevée du toit et, dans les poutres, sous le chaume, des rats, des chauves-souris, des fourmis et autres bêtes.

Tietjens vint au-devant de moi sous la véranda, entre les haies d’aloès. Vers la fin du jour, la pluie devint furieuse. Assis sous la véranda, j’écoutais l’eau ruisseler des bords du toit et je me grattais, parce que j’avais une éruption causée par la chaleur. Tietjens sortit, s’approcha de moi, mit sa tête sur mes genoux, et, lorsque le thé fut prêt, je lui donnai des biscuits. L’intérieur des chambres était déjà sombre ; on y sentait une odeur de sellerie et celle de l’huile qui servait à graisser les fusils de Strickland : aussi n’avais-je pas le moindre désir de rentrer. Mon domestique, avec ses vêtements de mous-

  1. Lieu de déportation.