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langage mystique de l’Église chrétienne, et qui, vers l’an 120 à peu près, produisit le prologue de l’Évangile attribué à Jean[1]. Le Logos fut la révélation permanente, le maître qui ne meurt pas, comme la lampe d’Édesse enfermée en un mur, par lequel Socrate a connu le Christ en partie[2], et qui produira dans l’humanité des séries de christs, des séries de prophètes sans fin.

On voit par combien de côtés Philon côtoie la théologie chrétienne. L’action de ce remarquable penseur sur Jésus lui-même parait avoir été nulle. Jésus ne lisait pas le grec, et des écrits du genre de ceux de Philon n’arrivèrent jamais jusqu’à lui. Il n’en fut pas de même de la seconde et de la troisième génération chrétienne. La théologie judéo-alexandrine triompha sous forme chrétienne ; le gnosticisme en fut l’exagération maladive : les exagérations furent chassées ; mais l’Église catholique, l’Église moyenne[3], conserva, cette fois comme toujours, la trace profonde des particularités qu’elle avait éliminées.

Un autre dogme chrétien, celui de la grâce, se retrouve dans Philon en traits qui ont beaucoup d’analogie avec la doctrine de saint Paul. Le bien vient tout entier de Dieu ; le mal vient de la matière ou des puissances inférieures qui contribuèrent avec le Verbe à la création du monde. Tout bien doit donc être rapporté à Dieu. Se regarder soi-même comme l’auteur d’une bonne action est un acte d’orgueil : c’est un vol accompli au préjudice de Dieu. Cette influence bienfaisante de Dieu, qui rend l’homme capable de bien, c’est la charis, « la grâce ». Saint Paul a-t-il lu ces passages ? Nous sommes loin de le soutenir. Disons seulement qu’il y avait un terrain commun où la théologie judéo-hellénique, le christianisme de saint Paul et le gnosticisme eurent leurs premiers développements.

Comme pour saint Paul, la descendance d’Abraham est, pour Philon, peu de chose. Le judaïsme de Philon est franchement cosmopolite. Le peuple juif a mérité sa prérogative,

  1. Ibid. ; en général, voir l’index, aux mots Logos et Verbe.
  2. Voir surtout ce qui concerne le Logos de saint Justin. Orig. du christ., VI. 387 et suiv.
  3. C’est le sens du mot zz0ozó ; à cette époque : commun, en dehors des sectes : le contraire de particulier. Le sens de « répandu partout » est venu plus tard.