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n’est sûrement pas dans la Bible que Philon l’a prise. L’exégète alexandrin est bien plus près de la vieille théologie hébraïque dans ce qu’il dit du Logos intermédiaire entre Dieu et le monde : « l’ange de Jahvé » lui offrait ici une donnée dont la philosophie juive avant lui avait tiré parti[1]. Pour combler autant que possible l’abîme que le monothéisme sémitique creuse entre Dieu et le monde, on fut amené à la conception d’un intermédiaire, Dieu par un côté, homme par un autre, qui mettait en rapport le fini et l’infini. Philon, combinant avec la Bible la théorie platonicienne des idées, de l’âme du monde, et la formule stoïcienne de la divinité conçue comme la raison agissant dans le monde, donna à cette doctrine un corps qu’elle n’avait pas eu jusque-là. La sagesse de Dieu, le Logos, devient pour Philon le fils aîné de Dieu. l’archange ou le plus ancien des anges, le Verbe intérieur, la raison immanente de Dieu. Quand le Verbe est prononcé, il devient actif, effectif : c’est le monde, constitué par un mot de Dieu : « Qu’il soit ». Une fois, au moins, cette émanation de l’Être suprême est appelée « second Dieu[2] ». Les effets immédiats de la parole divine sont ainsi des paroles (logoi)[3] ou des forces, sortes d’anges ou de dæmones, dont le premier est « l’Homme de Dieu » ou Dieu anthropomorphe, qui sert à mettre la Divinité en rapport avec l’humanité. De telles idées n’étaient pas exclusivement propres à Philon. Le mémera[4] des Targums araméens devait son origine à une tendance analogue. La parole de Dieu, distinguée de Dieu, devenait un agent cosmique. Ces personnifications d’êtres abstraits[5] étaient la mode du jour. Les races les plus diverses y arrivaient, faute de mythologie, ou plutôt par suite de l’affaiblissement que l’action successive des siècles avait amené dans les facultés mythologiques.

Voilà la théorie qui, dès l’Apocalypse de Jean[6], pénétra le

  1. L’emploi sacramentel du mot Logos n’a que des attaches indirectes avec le platonisme, en particulier avec le Timée.
  2. Orig. du Christ., VI, p. 67.
  3. Pour Philon, Ayo:est synonyme de idézi.
  4. Mémera, « parole ».
  5. Comparez le Komix (qol-pi-yah) de Sanchoniathon ; en iranien, l’Honover.
  6. Orig. du christ., VI, p. 68 et suiv.