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REVUE DE PARIS.

porte basse du perron, mon oncle avait vraiment l’air funéraire d’un habitant du Styx ou d’un vieux gnome s’en allant souper chez les morts.

« Je lui souhaitais bon appétit, et je retournai me blottir dans mon nid de fourrages. Mais je jurai toutefois de faire si bien, que je viendrais à connaître le motif des excursions nocturnes de mon oncle. Il y avait bien, au fait, de quoi piquer ma fantaisie.

« Je me fis faire, en conséquence, à Paris une échelle de soie d’environ six coudées. Le passementier s’imagina que je la destinais à quelque entreprise amoureuse ; je le laissai croire, et j’avoue que cela flatta infiniment mon humeur romanesque.

« Hier donc dans la journée, lorsque je fus muni de cet audacieux instrument qui aurait pu m’aider à faire des escalades si mignonnes, je le roulai autour de mon corps, sous mon pourpoint, afin de le cacher de mon mieux au regard si scrupuleux de maître Jean, et je vins prendre gîte au château. J’apportai, pour motiver ma visite, quelques écheveaux de fil et des aiguilles que mon oncle m’avait demandés.

« À l’heure habituelle de sa sortie, juste à minuit sonnant, là porte basse s’ouvrit, et mon oncle, portant sa lanterne, se mit à cheminer comme de coutume dans la direction du parc.

« Vite je jetai au dehors mon échelle que je tenais depuis un instant toute prête, et l’ayant attachée au balcon de ma lucarne, le long de la muraille, je me hâtai de descendre, si prestement, que j’en eusse fait sécher d’envie un écureuil.

« Je courus doucement dans la direction de la lumière, et j’atteignis à pas de loup maître Jean d’Anspach comme il allait pénétrer dans un massif du parc.

« De peur de me trahir, je me tins à quelque distance. Je me cachai derrière le tronc d’un immense hêtre, et plongeant mes regards dans le fourré à travers le feuillage et le clayonnage des branches, je cherchai à démêler ce que mon oncle pouvait avoir à faire en ce lieu. L’histoire de Numa Pompilius et de son Égérie me revint en mémoire ; mais aujourd’hui les nymphes sont plus rares, et surtout leurs doux propos.

« Je vis d’abord mon cher oncle s’incliner, poser sa lanterne près de lui, déranger une couche épaisse de brindilles et de feuilles mortes pour en former un monceau ; soulever avec effort le volet pesant d’une trappe placée au niveau de la terre, après en avoir fait couler les vervelles ; le rejeter de côté sur l’amas de brisées et de