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REVUE DE PARIS.

« Là mon bon oncle, après m’avoir invité à goûter les bienfaits du repos sur une jonchée d’herbe sèche, me souhaitait un bonsoir, une bonne nuit, me laissait sans lumière, et refermait derrière lui rigoureusement la porte, si bien que jusqu’au lendemain au jour il me tenait ainsi son prisonnier.

« Vous voyez que le bonhomme n’avait pas une confiance inimitée en son neveu.

« Comme je me couchais l’estomac vide, mon sommeil n’était pas très profond ; le cri d’une chouette prenant sa volée, le moindre murmure du vent soufflant dans les tuiles, me mettait l’œil et l’oreille au guet.

« Une nuit que j’étais, je ne sais pourquoi, fort agité sur mon lit de fourrage, et que j’avais entendu sonner au moûtier du village onze heures, minuit, une heure du matin, il me sembla tout à coup reconnaître qu’on marchait à l’extérieur. — C’était bien le bruit pesant et sonore d’un pas humain qui se pose sur une terre nue et silencieuse pendant l’obscurité.

« Je me levai, et m’avançant avec précaution de peur d’aller donner du front contre un poteau ou de me fourvoyer sous les solives du comble, je gagnai une espèce de lucarne, sans châssis ni vitrage, qui laissait arriver jusqu’à moi l’air parfumé de la nuit, en me montrant tout au fond de son étroite embouchure un peu de l’azur du ciel et deux ou trois poignées d’étoiles.

« Je me glissai doucement sur la plate-forme qui saillait de beaucoup en dehors du mur, comme il est d’usage aux lucarnes de greniers à foin ; je me penchai sur le garde-fou qui l’environnait, et je pus alors distinguer, à travers les broussailles et les massifs du jardin, une faible lueur, pareille à la lumière d’un falot. Cette lueur, autant que je pouvais la suivre à travers le feuillage, semblait parcourir une ligne tortueuse, mais qui cependant la rapprochait peu à peu du château. Si je n’avais entendu en même temps le sable crier sous des semelles, le sol résonner sous un pied lourd, j’aurais pris certainement cette petite flamme brillante pour un de ces feux follets qui voltigent la nuit dans la campagne, pour un de ces petits lutins ou farfadets qui, après avoir dérobé le phosphore d’un ver-luisant ou d’une luciole, viennent se placer malignement devant les pas d’un voyageur pour l’égarer et le conduire, après mille espiègleries, au fond d’un marécage.

« Enfin la lumière, qui s’avançait toujours, atteignit l’extrémité d’une allée, longea les plates-bandes du parterre, et entra dans l’es-