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REVUE DE PARIS.

inexorable ; auprès de mon oncle sur le front duquel descendent déjà les froides ombres de la mort. Et c’est pour expliquer ma présence en ce lieu funeste, si jamais elle parvient à la connaissance des hommes, et sauver ma mémoire de toutes fâcheuses suppositions ou interprétations, que je vais prendre le soin de consigner sur ce livre la cause et l’occasion de ma perte. — La fatalité est une loi bien cruelle !

« Tout ce qui concerne mon oncle, son métier, sa fortune, ses richesses, sa bizarrerie, sa sordidité, sordidité que le pauvre homme, hélas ! aura expiée si chèrement par ma faute : toutes ces circonstances, dis-je, sont trop bien connues ; elles ont trop longtemps fait l’étonnement de la cour et de tout Paris pour qu’il soit nécessaire que je m’y arrête. D’ailleurs, comme je viens de l’exposer, ce que je souhaite seulement, si ma lampe, dont la lumière baisse de minute en minute, si le peu de courage qui me reste ne me manquent pas en chemin, c’est de laisser après moi quelques mots d’éclaircissement sur l’horrible événement qui en ce moment s’accomplit.

« Mon oncle, après avoir quitté son atelier d’orfèvrerie ou plutôt son bureau d’usure, emportant un immense avoir, s’était donc retiré ici, à Arcueil, dans ce château, comme chacun sait, et il y vivait dans une solitude absolue et dans un raffinement de privations bien extraordinaire.

« Personne au monde ne pénétrait dans sa retraite, personne, excepté moi, qui venais de loin à loin prendre de ses nouvelles et passer quelques heures dans sa compagnie.

« Le but et le motif de ces visites, on me fera cette justice de le croire, n’avaient certainement rien d’intéressé. Ce n’était ni le bon accueil ni la bonne chère qu’on m’y préparait qui pouvaient m’attirer dans ce repaire. Ce que j’en faisais, ce n’était pas davantage pour obéir à l’obligation que m’avaient imposée mes tuteurs en m’envoyant vivre en France auprès de maître Jean, mon oncle, de ne négliger aucun moyen, aucune hypocrisie, afin de capter sa bienveillance, de lui plaire, de le séduire, de le tourner en ma faveur, de m’assurer ses libéralités ( hélas ! les libéralités de mon oncle), et l’héritage considérable dont j’avais la lointaine espérance. Non, ce n’était pas cela davantage, j’en prends le ciel à témoin, l’amour de la richesse ne m’avait point encore souillé le cœur. Je crois même que l’état d’abjection dans lequel je voyais que cette passion pouvait plonger un homme, m’avait guéri par anticipation, et à tout jamais,