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REVUE DE PARIS.

Dès que sa lettre fut achevée, M. d’Argenson la mit sous enveloppe, la scella, et fit partir un exprès pour la porter en toute diligence à Marly, où depuis quelques jours résidaient la cour et le roi. — Il pouvait être alors environ quatre heures et demie du matin.

Libre de tous pressants soucis, n’ayant à faire mouvoir pour le moment aucun des rouages de son administration, et ne pouvant plus agir qu’après la réponse du monarque et sur de nouveaux ordres, M. le lieutenant-général se vit à la tête d’un très doux loisir.

Il s’approcha de Suzanne, lui détacha deux ou trois compliments de la plus fine fleur, deux ou trois rayons de miel comme M. le lieutenant savait si bien les distiller ; ce dont la belle captive parut assez peu touchée.

Mais M. d’Argenson avait fortement à cœur de lier conversation, et il lui dit :

— Cherchez-vous les trésors, mademoiselle, n’importe où, en n’importe quel lieu ?

— Nous les cherchons, monsieur, où il doit y en avoir.

La réponse était brève et un peu sibylline.

M. le lieutenant s’arrêta un peu décontenancé ; puis il reprit :

— Vous pensiez donc qu’il devait se trouver un trésor ici ?

— Oui, monsieur, autrement nous l’eussions cherché ailleurs, ou nous eussions été des sots.

Qu’objecter à un tel argument ? Peu de chose. Cela était net, d’une logique raide et serrée ; cela, comme dit un vieux proverbe de veneur, avait frappé l’oiseau dans l’œil. Aussi M. d’Argenson ne chercha-t-il à y opposer que sa belle humeur.

— Vous êtes d’habiles gens, dit-il malicieusement, cela est possible ; mais, croyez-moi, il y a un plus grand sorcier que nous tous, et ce sorcier, c’est le hasard.

M. le lieutenant souriait sous cape, songeant à la chute révélatrice du moine.

— Mais, puisque vous cherchiez un trésor, poursuivit-il, dans la supposition qu’il devait en exister un en ces lieux, d’où vous venait cette croyance, mademoiselle ?

La belle devineresse répondit :

— Vous êtes bien mal renseigné, monsieur le lieutenant-général, pour une personne de votre charge. Comment ignorez-vous ce qui est au su de tout le monde, c’est-à-dire que des richesses considérables sont enfouies dans quelque coin du territoire d’Arcueil ou plutôt de cette propriété ?