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REVUE DE PARIS.

sort mystérieux qui devait faire tourner la porte sur ses gonds : il fallut briser la gâche et le pêne à coups de hache.

L’œil exercé et pénétrant de M. d’Argenson ne s’était point mépris dans l’ombre ; il avait parfaitement distingué tout ce que contenait la cellule. Il y avait en effet, comme il avait cru le voir, plusieurs coffres et plusieurs barils rangés à la suite l’un de l’autre le long des murs, et plus au milieu de la pièce deux espèces de spectres étendus sur les dalles.

L’un des deux corps, enveloppé dans un grand manteau de laine ramassé autour des flancs par une corde, semblait avoir été surpris par la mort dans une misère profonde. Point de linge sur la peau, et pour chaussures des lopins de cuir déchirés et troués, maintenus par des débris d’étoffe et des ficelles : contrefaçon hideuse des sandales d’un pauvre frère mendiant.

Une forêt de longs cheveux blancs en désordre, et une grande barbe blanche qui des yeux lui descendait jusque sur la poitrine, laissaient à peine à découvert quelques places d’un visage d’une maigreur extrême. Le front était plissé, des rides tortueuses rayaient dans tous les sens ses joues creuses et livides ; l’œil, affaissé dans son arcade, avait disparu sous le poids d’une paupière close et aplatie ; la bouche, encore entr’ouverte, paraissait avoir été tordue dans un dernier grincement convulsif ; toute la face avait une expression horrible de stupidité et de douleur. Les bras cruellement décharnés, les poings fermés et crispés avec force, portaient l’empreinte de nombreuses morsures faites à belles dents ; plusieurs places étaient déchirées et mises à vif, comme si elles eussent été broyées longtemps et avec force. Tout semblait indiquer que ce vieillard avait dû expirer dans les tortures de la faim et de la rage.

L’autre corps était celui d’un tout jeune homme. Le front appuyé sur ses mains en croix, la face tournée contre terre, il était prosterné dans toute sa longueur, à quelques pas plus loin que le vieillard, comme ces grandes figures en prostration que les artisans qui travaillent la pierre cisèlent quelquefois sur le couvercle des tombeaux pour représenter la morne image du désespoir.

Il était tout vêtu de cramoisi, haut-de-chausses et pourpoint, d’une étoffe riche et soyeuse, une manière de velours. La casaque qui était jetée à grands plis sur ses épaules était d’une forme agréable et élégante, mais d’une coupe fort ancienne, et telle qu’en portent encore aujourd’hui certains personnages de théâtre. Il avait autour du cou une fraise brodée fort ample et fort belle, et des dentelles