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REVUE DE PARIS.

de catoptrique, lanternes, miroirs, télescopes, fantasmacopes, et une foule d’autres objets d’un usage plus ou moins inconnu, firent coïncider un instant mon sentiment avec celui du journaliste dont nous parlions tout à l’heure, et qui donnait insidieusement à entendre dans sa gazette que le bon moine, notre initiateur, usait de supercherie avec ses adeptes. Mais je chassai bien vite cette vilaine pensée ; je rougis d’avoir pu ternir en moi-même d’un soupçon si injuste la pureté d’intention d’un homme si honnête. Que voulez-vous ? notre âme ne peut être responsable des mauvaises cogitations qui la surprennent et la traversent. Elle n’a pas plus que le lis la faculté de refermer son calice, si blanc qu’il puisse être et si pur, à l’approche des frelons ou des guêpes, et les frelons de notre âme, ce sont les mauvaises pensées.

Tout à coup des cris perçants se firent entendre du côté du parc. Il ne manquait plus que cela pour nous faire tomber en syncope. Nous sautions d’évanouissement en évanouissement, de surprise en surprise. C’était vraiment à devenir fou, à perdre la tête, dans ce conflit de catastrophes. Cependant M. d’Argenson, qui était un vieux pilote à cheval sur les quatre vents, ne se troubla pas pour si peu.

Avec son calme et son flegme ordinaire, comme s’il eût eu les oreilles bouchées, il ordonna à ses archers de rassembler les pièces de conviction et de nous conduire en lieu de sûreté dans un appartement du château, où nous demeurerions sous bonne garde. Ensuite il recommanda tout spécialement de mettre dans un salon convenable et à part Mlle Suzanne, et d’avoir pour elle les plus grands égards. Décidément, la lyre d’Orphée avait remué la pierre qui doit tenir lieu de cœur chez un magistrat.

Cette attention délicate ne suffit point au besoin d’être amoureux et tendre qu’éprouvait M. le lieutenant-général.

— Tout à l’heure, je serai près de vous, mademoiselle ; allez sans crainte, lui dit-il en lui touchant affectueusement la main.

Petrus Borel

(La fin au prochain numéro.)