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REVUE DE PARIS.

tremblant comme une feuille, il me répondit tristement, voulant faire sans doute allusion à la trahison de l’apôtre Judas :

— Quelqu’un de nous, monsieur, achètera le champ du potier

Sur ces entrefaites, la haie de gens armés qui nous entourait s’ouvrit et se sépara respectueusement pour laisser passer quelques estafiers d’assez mauvaise mine, sauf le personnage qui marchait en tête, vêtu d’une riche casaque et orné d’une épée de parade. Celui-ci avait vraiment l’air d’un fort galant cavalier.

— Au nom du roi, messieurs, nous dit-il ôtant son grand chapeau garni de plumes, je vous arrête.

C’était le lieutenant-général de police, M. le comte Voyer d’Argenson ; plusieurs d’entre nous le reconnurent aussitôt, mais nous n’en restâmes que plus consternés et plus muets. Il poursuivit :

— Comment, messieurs, malgré tout le déplaisir que le roi a manifesté ressentir de toutes pratiques et opérations occultes et démoniaques ; nonobstant ses inhibitions, jussions et défenses, et l’ordre donné itérativement à tous ses parlements et à la chambre de justice de l’Arsenal de rechercher et punir avec rigueur tous les fauteurs de prétendue magie, vous venez, et à plusieurs reprises, vous livrer ici imprudemment aux actes les plus inflictifs et les plus coupables ?… Cela n’est pas bien !

Puis, s’adressant à chacun de nous, il nous interpella tour à tour, avec assurance, usant de tous nos noms et titres, comme si nous avions été pour lui de vieilles connaissances. Ces gens de police sont merveilleux pour cela. Ame qui vive n’échappe à leurs espies. Tout est couché, je crois, sur leurs registres comme sur le livre du destin. — Se tournant d’abord vers notre moine, qui avait bien la contenance la plus craintive et l’expression de visage la plus étonnée :

— Vous surtout, monsieur le prieur de Bacheville, vous me permettrez, dit-il avec douceur et politesse, de vous exprimer personnellement tout mon chagrin. Il me fâche qu’au mépris de votre saint caractère, vous, homme de religion et d’église, qui devez à tous la vraie lumière et l’exemple, vous vous laissiez aller à mettre ainsi tout le premier la pierre d’achoppement devant les pas de l’aveugle. Tant pis, le roi s’est fort emporté contre vous !

Passant ensuite au père Le Bègue, organiste du roi et de la paroisse royale de Saint-Roch, il reprit :

— Vous conviendrez au moins, vous, monsieur Le Bègue, dont j’honore d’ailleurs le bon esprit et le talent, que le roi est souvent fort mal obéi par ses officiers, par ceux-là mêmes qu’il a comblés le