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de son corps au moyen d’un bout de corde, composaient à peu près tout son équipage. Et certes c’eût été un spectacle étrange et effroyable pour quelqu’un pris à l’improviste, que l’image de ce vieillard enguenillé, réduit à l’état de squelette, se traînant parmi les chaumes et les broussailles, ou accroupi et ramassé sur lui-même, suivant de place en place, durant les journées froides, les rayons obliques d’un soleil sans chaleur, comme une bête fauve que le froid a transie, comme un mendiant qui cherche à ranimer ses membres exténués et malades.

Usant du droit que lui donnait son saint caractère, le curé d’Arcueil, un bon et digne prêtre, était la seule personne qui échangeât avec notre solitaire, de loin à loin, quelques paroles, qui osât relancer le sanglier jusque dans son fort. Quand il passait, dans ses promenades, devant la porte, il frappait hardiment jusqu’à ce que l’autre fût venu, non pas ouvrir, mais placer à son petit judas son œil miroitant et vitreux. Et alors, tout en les cachant sous la forme aimable d’une plaisanterie, il lui envoyait, bien et dûment empaquetés, mais d’une façon vague et détournée, de bons avis, de petites admonitions qui pouvaient donner moult à penser à maître Jean d’Anspach, pour peu qu’il lui restât quelque lambeau de sa première âme.

Un jour, il lui disait : — La charité et la surveillance du pasteur doivent s’étendre sur tout le bercail. Sa dilection est à la brebis malade comme à la brebis égarée. Permettez-moi, monsieur, bien que j’aie le regret de vous savoir religionnaire, de m’informer avec empressement si vous êtes mort ou vif, et si rien ne manque, dans 1’abstraction où vous vous maintenez, aux besoins de votre corps et de votre esprit ?

Là-dessus maître Jean congédiait sans l’entendre le bon ecclésiastique, et refermait brusquement son vasistas.

Une autre fois, M. le curé, après s’être fait ouvrir de même le petit judas, se contentait de jeter doucement cette parole : — Rare solus ; voulant faire allusion sans doute à certain aphorisme de saint Augustin. À quoi le vieux lynx répondait d’un air plein de malice, et par le même texte, voyant le bon prêtre suivi de sa servante : — Nunquam duo.

— Que votre moisson, dans les jours fructueux de l’été, ait été abondante ou médiocre, lui disait-il certain autre jour, votre moisson vient de Dieu. Faites dix parts ; prenez-en neuf pour vous, mais que celui qui vous a envoyé les neuf autres ait au moins la dixième pour lui.