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nait trop de plaisir à la comédie que lui donnait son bon oncle pour lui faire grâce de ses visites.

L’autre n’aurait certes pas adouci sa consigne en faveur de ce démon qu’il redoutait, s’il ne l’avait cru capable, au besoin, sons le prétexte de ne pouvoir résister à l’ardente affection qui l’entraînait, d’enfoncer le guichet et d’escalader les murs. Puis, comme ce jeune homme, après tout, lui rendait parfois le petit service de lui apporter de la ville les menus objets dont il avait besoin, et dont il oubliait rigoureusement de lui rendre la valeur, il prenait ce mal en patience, se contentant de le tenir continuellement sous son œil, de ne lui offrir aucune espèce de réfection, et de l’enfermer sous triple dé dans une grange, quand par hasard il demandait à prendre sa couchée au château.

La propriété de maître Jean d’Anspach contenait bien six arpents dos de murs, dont deux seulement étaient boisés. Pour cultiver et maintenir en bon état une pareille superficie, il aurait fallu beaucoup de bras, un jardinier en chef et plusieurs aides ; mais notre Bavarois avait une trop grande épouvante de tout ce qui appartenait à la race humaine pour souffrir sons aucun prétexte qu’un étranger mit le pied dans la maison, et vînt partager son toit inhospitalier. De même qu’il n’avait jamais voulu admettre ni compagnon ni apprenti à sa forge, de même il ne voulut jamais s’aider de personne dans son jardin ; si bien que parterre, potager, verger, pré et parc ne tardèrent pas à n’être plus qu’un fouillis impraticable, sauf quelques petits espaces où maître Jean semait un peu de grain et des légumes.

Cependant le mince produit de ce travail, et ce que la nature lai mettait spontanément sous la main, suffisait pour soutenir son existence, et surtout la plénitude de son coffre-fort. Depuis qu’il vivait là retiré, il n’avait pas changé pour sa subsistance un seul écu. L’été, c’étaient des racines qu’il extirpait du sol, les fruits des arbres, le lait de quelques chèvres qui vaguaient dans ses jachères ; l’hiver, c’étaient les légumes et les fruits de garde ; mais jamais une bouchée de pain n’approchait de ses lèvres. Il écrasait son blé entre deux cailloux, et l’espèce de farine qui en résultait lui servait à faire une manière de brouet qui n’eût certainement pas fait envie aux Lacédémoniens.

Il avait de même amené son costume à la plus complète réduction. Des lanières de cuir ou des sabots aux pieds, une couverture de laine qu’il avait percée dans le milieu d’un trou pour passer la tête, à la manière de certains Indiens d’Amérique, et qu’il attachait autour