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REVUE DE PARIS.

respect pour la beauté, à maltraiter violemment Suzanne. On entendait résonner les coups sur son joli corps aussi distinctement que nous pouvons entendre d’ici sonner l’heure à l’horloge de la ville. Cela était vraiment déchirant !

En véritable chevalier, je voulus voler à la défense de la belle opprimée, mais mon compagnon me retint, jurant par le ciel et la terre que je serais perdu si je faisais un seul pas.

Suzanne reparut bientôt, l’œil hagard, meurtrie, échevelée, et cependant la courageuse enfant ne laissait pas échapper une plainte.

Toute la compagnie s’était rassemblée autour d’elle, et chacun avec intérêt s’empressait de lui adresser quelque question : — Et le trésor, et le diable, mademoiselle ?

Quant à moi, j’avais repris mon air moqueur, et je plaisantais le prieur sur la brillante issue de son expédition.

— Mon révérend, lui disais-je, n’a-t-il pas été convenu que le trésor, c’est-à-dire ce que le diable livrerait à la conjuration de notre jeune Hécate, serait partagé entre tous pareillement, et que chacun de nous y aurait un droit égal ? Faisons donc justice. — Allons, belle Suzanne, allons, sans pitié, distribuez à chacun son dividende. Donnez-moi, de grâce, les coups qui me reviennent.

Mais le prieur faisait toujours assez bonne contenance ; il se contentait de répondre à ces railleries, avec sa candeur habituelle :

— Le diable, mon cher monsieur, n’est pas aussi traitable que vous semblez le croire. Ne riez pas ainsi. Nous aurons sans doute meilleure chance la prochaine fois.

Et comme on allait se retirer et monter dans les carrosses pour regagner la ville, Suzanne proposa de tenter le lendemain un nouvel essai, ce qui sur-le-champ fut accepté.



V.


Le lendemain, en effet, ainsi que cela était convenu, tous nos chercheurs d’or se rassemblèrent au cabaret de la Grève, où nous soupâmes encore fort gaiement et toujours aux frais du trésor en perspective. Puis, à l’heure fixée pour le départ, nous nous mîmes en route pour la maison de campagne, théâtre de nos ténébreuses investigations, qui appartenait à l’une des personnes de la société.

Là, au clair d’une pleine lune, à pas de loup et dans le silence, sur les onze heures et demie, on se rendit dans le parc, où Suzanne, ayant fait jurer au propriétaire du lieu que nous étions seuls dans cette