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aussi loin qu’elle le désire, cette nouvelle aventure, sans jamais quitter son menton ; elle va voir ses amis, fait un tour de promenade et rentre chez elle pour dîner. Son mari ne s’enquiert pas où elle est allée, car il sait parfaitement que, si elle a intérêt à lui cacher la vérité, elle lui répondra par un mensonge ; et, comme il n’a aucun moyen de l’en empêcher, il prend le parti le plus sage, celui de ne point s’en inquiéter. Ainsi ces dames vont seules au spectacle, aux courses de taureaux, aux assemblées publiques, aux bals, aux promenades, aux églises, en visites, et sont bien vues partout. Si elles rencontrent quelques personnes avec lesquelles elles désirent causer, elles leur parlent, les quittent et restent libre et indépendantes au milieu de la foule, bien plus que ne le sont les hommes, le visage découvert. Ce costume a l’immense avantage d’être à la fois économique, très propre, commode, tout de suite prêt, sans jamais nécessiter le moindre soin.

Il est de plus un usage dont je ne dois pas omettre de parler. Lorsque les Liméniennes veulent rendre leur déguisement encore plus impénétrable, elles mettent une vieille saya toute déplissée, déchirée, tombant en lambeaux, un vieux menton et un vieux corsage ; seulement les femmes qui désirent se faire reconnaître pour être de la bonne société se chaussent parfaitement bien et prennent un de leurs plus beaux mouchoirs de poche : ce déguisement qui est reçu, se nomme disfrasada. Une disfrasada est considérée comme fort respectable ; aussi ne lui adresse-t-on jamais la parole : on ne l’approche que très timidement ; il serait inconvenant et même déloyal de la suivre. On suppose, avec raison, que, puisqu’elle s’est déguisée, c’est parce qu’elle a des motifs importants pour le faire, et que par conséquent on ne doit pas s’arroger le droit d’examiner ses démarches.

D’après ce que je viens d’écrire sur le costume et les usages des Liméniennes, on concevra facilement qu’elles doivent avoir un tout autre ordre d’idées que celui des Européennes, qui, dès leur enfance, sont esclaves des lois, des mœurs, des coutumes, des préjugés, des modes, de tout enfin ; tandis que sous la saya la Liménienne est libre, jouit de son indépendance, et se repose avec confiance sur cette force véritable que tout être sent en lui, lorsqu’il peut agir selon les besoins de son organisation. La femme de Lima, dans toutes les positions de la vie, est toujours elle ; jamais elle ne subit aucune contrainte ; jeune fille, elle échappe à la domination de ses parents par la liberté que lui donne son costume ; quand elle se marie, elle ne prend pas le nom de son mari, elle garde le sien, et toujours reste maîtresse chez elle ; lorsque le ménage l’ennuie par trop, elle met sa saya et sort, comme les hommes le font en prenant leurs