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Un grand nombre d’étrangers m’ont raconté l’effet magique qu’avait produit, sur l’imagination de plusieurs d’entre eux, la vue des Liméniennes. Une ambition aventureuse leur avait fait affronter mille périls dans la ferme persuasion que la fortune les attendait sur ces lointains rivages ; les Liméniennes leur en paraissaient être les prêtresses ; ils croyaient que, pour les dédommager des pénibles souffrances d’une longue traversée et récompenser leur courage, Dieu les avait fait aborder dans un pays enchanté. Ces écarts d’imagination ne paraissent pas invraisemblables, quand on est témoin des folies, des extravagances que ces belles Liméniennes font faire aux étrangers. Le désir ardent de connaître leurs traits qu’elles cachent avec soin, les fait suivre avec une avide curiosité ; mais il faut avoir une grande habitude des sayas pour suivre une Liménienne sous ce costume, qui leur donne à toutes une grande ressemblance ; il faut un travail d’attention bien soutenue pour ne pas perdre les traces de celle qui vous a fasciné d’un regard : elle se glisse dans la foule, et bientôt dans sa course sinueuse, comme le serpent à travers le gazon, se dérobe à votre poursuite. S’il suffisait de la beauté des formes, du charme magnétique du regard, pour assurer l’empire que la femme est appelée à exercer, je puis affirmer que les femmes de Lima l’emporteraient aisément sur les plus séduisantes Européennes, grâce à leur costume national. Mais si la beauté impressionne les sens, elle ne saurait obtenir d’empire durable et puissant qu’autant qu’elle les subjugue. Ces Liméniennes enchanteresses, après avoir électrisé l’imagination des jeunes étrangers qui abondent au Pérou, venant à se montrer telles qu’elles sont, sans nulle sensibilité dans le cœur, sans noblesse dans l’âme, incapables de ressentir un amour pur et vrai, ne paraissant aimer que l’argent, détruisent elles-mêmes d’un seul mot le brillant prestige de fascination que leur beauté avait produit. Cependant les femmes de Lima gouvernent les hommes parce qu’elles leur sont bien supérieures en intelligence et en force morale. La phase de civilisation dans laquelle se trouve ce peuple est encore bien éloignée de celle où nous sommes arrivés en Europe. Il n’existe au Pérou aucune institution pour l’éducation de l’un ou de l’autre sexe ; l’intelligence ne s’y développe que par les forces natives. Ainsi la prééminence des femmes de Lima sur l’autre sexe, quelque inférieures, sous le rapport moral, qu’elles soient aux Européennes, doit être attribuée à la supériorité d’intelligence que Dieu leur a départie.

On doit néanmoins faire observer combien le costume des Liméniennes est favorable et seconde leur intelligence pour leur faire acquérir cette grande liberté, cette force morale et cette influence dominatrice dont elles jouissent. Si jamais elles abandonnaient ce costume, sans prendre des