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paroles qu’ils accompagnent. Leur costume est unique : Lima est la seule ville du monde où il ait jamais paru. Vainement a-t-on cherché, jusque dans les chroniques les plus anciennes, d’où il pouvait tirer son origine ; on n’a pu encore le découvrir ; il ne ressemble en rien aux différens costumes espagnols, et ce qu’il y a de bien certain, c’est qu’on ne l’a pas apporté d’Espagne ; il a été trouvé sur les lieux, lors de la découverte du Pérou, quoiqu’il soit en même temps notoire qu’il n’a jamais existé dans aucune autre ville d’Amérique. Ce costume, appelé saya, se compose d’une jupe et d’une espèce de sac qui enveloppe les épaules, les bras et la tête, et qu’on nomme menton. Nos élégantes Parisiennes se récrieront sans doute sur la simplicité de ce costume ; elles sont loin de se douter du parti qu’en tire la coquetterie. Cette jupe, qui se fait en différentes étoffes, selon la hiérarchie des rangs et la diversité des fortunes, est d’un travail tellement extraordinaire, qu’elle a droit à figurer dans les collections, comme objet de curiosité. Il n’y a qu’à Lima qu’on peut faire confectionner ce genre de costume, et les Liméniennes prétendent qu’il faut être né à Lima pour pouvoir être ouvrier en saya ; qu’un Chilien, un Aréquipénien, un Cuzquénien, ne pourraient jamais parvenir à plisser la Saya. Cette assertion, dont je ne me suis pas inquiétée, prouve combien ce costume est en dehors de tous les costumes connus. Je vais donc tâcher, par quelques détails, d’en donner une idée. Pour faire une saya ordinaire, il faut de douze à quatorze aunes de satin[1] ; elle est doublée en florence ou en petite étoffe de coton très légère. L’ouvrier, en échange de vos quatorze aunes de satin, vous rapporte une petite jupe qui a trois quarts de haut, et qui, prenant la taille à deux doigts au-dessus des hanches, descend jusqu’aux chevilles du pied ; elle a tout juste par le bas la largeur nécessaire pour qu’on puisse mettre un pied devant l’autre, et marcher à très petits pas. On se trouve ainsi serrée dans cette jupe comme dans une gaine ; elle est plissée entièrement de bas en haut, à très petits plis, et avec une telle régularité, qu’il serait impossible de découvrir les coutures. Ces plis sont si solidement faits, ils donnent à ce sac une telle élasticité, que j’ai vu des sayas qui duraient depuis quinze ans, et qui conservaient encore assez d’élasticité pour dessiner toutes les formes et se prêter à tous les mouvemens. Le menton est aussi artistement plissé, mais fait en étoffe très légère, il ne saurait durer autant que la jupe, ni le plissage résister aux mouvemens continuels de celle qui le porte, non

  1. Ce satin est importé d’Europe ; ce vêtement se faisait, avant la découverte du Pérou, avec une étoffe de laine fabriquée dans le pays. On ne se sert plus de cette étoffe que pour les femmes pauvres et les malades.