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mot cette nouvelle patrie, la patrie de son argent, qu’il avait aimée au point d’oublier la France pendant quarante ans, lui devint peu à peu odieuse en lui enlevant tout l’espoir de sa vieillesse. Une vive fantaisie d’exilé, et plus encore une fervente sollicitude de père, lui firent souhaiter de revoir les grèves qui l’avaient vu naître, et de soustraire son dernier enfant aux mortelles influences qui la menaçaient.

En conséquence, James Lockrist résolut d’enlever sa chère Jenny au soleil de l’équateur avant l’âge de quinze ans, vers lequel tous ses frères avaient péri. Il commença à convertir sa fortune en argent ; et, comme une aussi vaste entreprise demandait encore au moins une année, il se décida à s’enquérir de la famille qu’il avait laissée en Bretagne, afin de renouer quelque relation avec une contrée où il craignait de se trouver isolé.

À huit mois de là James reçut de France une réponse à ses informations. On lui apprenait que son frère Henri était mort depuis environ vingt ans, laissant dans la misère une veuve et quatorze enfans. Mais le froid et la faim avaient anéanti la postérité d’Henri comme le soleil et le luxe avaient éteint celle de James. Les survivans étaient réduits, en Bretagne comme dans l’Inde, au nombre de deux : la veuve septuagénaire qui vivait indigente aux environs de Brest, et son fils Melchior Lockrist, qui venait d’obtenir une lieutenance dans la marine marchande.

Ce fut le curé de l’humble village de chaume, où le puissant nabab avait vu le jour, qui se chargea de lui faire parvenir ces renseignemens. Ce fut une lettre aux formes gothiques et paternes, où perçaient, comme dit Goldsmith, l’orgueil du sacerdoce et l’humilité de l’homme ; une lettre toute pleine de timides reproches sur le long oubli où James avait laissé sa famille, d’exhortations communes et maladroites sur la vanité et le mauvais emploi des richesses ; d’efforts délicats et chaleureux pour intéresser le nabab à ses pauvres parens. Il y eut une période de cette lettre où M. Lockrist faillit la jeter avec colère et dédain, et une autre qui émut ses entrailles au point d’amener une larme dans le sillon formé par une ride sur sa joue sèche et safranée.

Et véritablement il était impossible de ne pas se prendre de compassion pour cette pauvre veuve que le curé montrait si pieuse et si pauvre ; de bienveillance pour ce jeune homme qui avait en pleurant quitté sa mère afin de lui être plus utile. « Melchior, disait le bon curé, est le plus bel homme de la Bretagne, le plus brave marin de l’Océan, le meilleur