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détournées de leur véritable but, ne sont plus que des instrumens de meurtre, de débauche et de rapine. Le peuple est sans droits et sans espérance ; l’industrie s’éteint ; quelques grands propriétaires s’emparent de tout ; on voit un sénateur posséder des provinces entières, et les spolier à son profit. L’Afrique, avec ses trois cents évêchés, devient le patrimoine de cinq familles. Aux extorsions du fisc, au luxe effréné de la cour, aux dogmes d’une obéissance passive, joignez la misère des prolétaires, les paysans affamés, les citoyens sans patrie, les propriétés sans garantie, le trône à l’encan, la défense de l’État confiée à des mercenaires, qui convoitent le diadème, et l’achètent ou le volent ; l’empire sans armes contre les invasions, les grands sans asile contre la haine du peuple. Dans une telle situation, il fallait que Rome pérît : c’était une proie offerte et déjà corrompue. Les nations barbares, averties par cet instinct qui ne trompe ni les peuples ni les bêtes de proie, fondirent sur elle.

Ici les accusations répétées par tous les historiens sont des calomnies. Vandales et Huns ne détruisirent point les chefs-d’œuvre des arts, n’étouffèrent pas le génie. Bien long-temps avant leur incursion, la force de l’intelligence et de l’ame avait disparu du sein de Rome avilie. Esclaves, rhéteurs, scoliastes, sophistes, avaient succédé à la noble race des Quirites. Les mœurs étaient suspendues entre la superstition et la débauche. Depuis l’époque des Antonins, l’esprit humain, se rapetissant toujours, en était venu aux puérils jeux de la décrépitude. Lisez Claudien : c’est le seul poète remarquable de ces temps sans énergie. Vide et creux, il retentit comme la cloche dans les airs, et ne dit rien à la pensée. Jetez les yeux sur les mauvaises sculptures des dernières années de l’Empiré : quel goût ! quelle absence de tout génie ! Les barbares n’enchaînèrent pas Rome, ils ne conquirent que son cadavre : ce fut pour le régénérer.

Allons plus loin : cette décadence était indispensable ; les antiques sociétés avaient fait leur temps. Basées sur le privilège, c’est-à-dire sur l’injustice, elles devaient finir comme tout ce qui est inique. L’esclavage, véritable fondement de la grandeur