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testait à chaque scrutin contre son admission. On ne tarda pas a découvrir que ce fier opposant était le vieux Georges Selwyn, dont l’origine remontait au-delà de la conquête, et qui eût volontiers rendu l’entrée au club de Brookes aussi difficile que celle de certains chapitres de chanoines d’Allemagne, dans lesquels on exige au moins seize quartiers de noblesse. Il fallut user de ruse pour l’éloigner de la salle de réception : le prince de Galles lui-même le fit demander dans le vestibule, où il trouva Son Altesse Royale avec Shéridan. Celui-ci racontait une histoire qu’il recommença poliment à l’approche de M. Selwyn, et qu’il eut le talent de faire durer pendant une demi-heure sans la conclure, tandis qu’on votait son admission : un laquais parut à la porte, et avertit par un signe convenu l’éloquent narrateur que l’on n’attendait plus que lui pour inscrire le résultat du ballotage. Sheridan s’interrompt tout à coup, et prie le prince de continuer le récit à leur ami M. Selwyn ; mais Son Altesse Royale qui n’avait pas l’imagination féconde de Sheridan ne put se tirer du dénouement de l’histoire, et s’écria bientôt impatienté : « Au diable ce Sherry qui me fait la vous raconter une aventure dont je sais tout juste ce qu’il vient de nous en dire ; mais venez, Selwyn, allons retrouver Fox qui nous la finira. » Ils entrèrent dans le salon du club, et ce fut Sheridan qui alla au devant de M. Selwyn en lui demandant pardon de s’en être remis pour la fin de son récit à Son Altesse Royale qu’il voyait bien n’avoir pas été en état de le continuer : « mais que voulez-vous M. Selwyn ? j’ai été retenu par ces messieurs, qui viennent de m’élire votre confrère à l’unanimité : je vais ici même vous achever mon conte qui est vraiment curieux. » M. Selwyn bouda le reste du jour, et finit par rire comme les autres.

Sheridan paya exactement la première année de son écot de souscription, qui était de vingt guinées ; mais, les années suivantes, le club fut bien forcé de lui faire crédit : car on sait que le rival de Pitt et de Fox mourut perdu de dettes, au point que la dernière ressource de ses créanciers fut de faire saisir son cercueil, pour se venger peut-être de cette épigramme qu’il avait faite au club de Brookes, contre la contrainte par corps :