Page:Revue de Paris, tome 25, 1831.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous par intérêt pour vos malheurs, sans s’informer de vos opinions et de vos fautes ; ils vous aimeront si vous les aimez ! — Et le bonheur d’être aimé, c’est, vous le savez, la seule indemnité de la cruelle obligation de vivre !

On vous le demande à genoux ! Laissez-nous nos prolétaires ignorons, notre peuple illétré, nos provinces noires ! Laissez-nous cette dernière garantie contre l’envahissement de la perfectibilité, contre le triomphe des doctrines, puisque doctrines et perfectibilité n’entraînent après elles que le dégoût de toutes les croyances, l’abnégation de tous les sentimens, le désabusement de toutes les joies ; — laissez-nous marquer nos journées de travail avec un cran sur le bois, comme faisaient nos pères ; étudier la hauteur du soleil et les phases de la lune dans la page immense du firmament ; pratiquer nos industries nourricières, selon les leçons éprouvées de la tradition et de l’exemple ; apprendre l’histoire dans les récits naïfs et quelquefois épiques de nos soldats, qui la racontent mieux que les bulletins ; admirer la puissance de la nature dans ses ouvrages, qui l’attestent mieux que les déclamations et les systèmes. —

Nous n’avons pas besoin de la politique, puisque la discussion de ses droits les plus précieux nous est interdite au nom des lois. Ses vicissitudes parlent d’ailleurs assez éloquemment pour nous instruire. —

Nous n’avons pas besoin de savoir lire pour nous élever à la science ingénue du bon sens, et pour recevoir la nourriture de la morale évangélique. Celui qui nous en a ouvert le trésor, et qui, humainement parlant, serait encore un Dieu fait homme, n’a jamais dit qu’il se communiquerait à nous par le pain de la lecture. Le pain qu’il nous annonce partout, c’est celui de la parole. — Oubliez-vous, chrétiens, qu’il a promis le bonheur éternel aux ignorans ? Ne convenez-vous pas, philosophes, avec Montaigne et Montesquieu, que, si les savans ne s’étaient mêlés de son ouvrage, les fruits de sa promesse ne seraient pas même entièrement perdus pour la terre ? —

Vos intentions sont pures, nous n’en doutons pas ! Mais l’expé-