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rires et de peines. C’était mon existence à moi, et elle m’apparut, bienfait et bénédiction ! et ma vie s’alluma à son regard, et mon ame engourdie et triste se réveilla enthousiaste et forte aux accens enchanteurs de sa voix. Le croirez-vous ? Jamais ma main n’avait pressé la sienne, je croyais que mon regard n’avait jamais arrêté le sien ; mais elle m’avait donné de ces émotions qui tuent et qui enivrent ; elle devint un besoin pour moi. Il fallut que chaque soir me rendît le bonheur de la veille. C’était comme une religion que je portais dans mon cœur, une religion à laquelle je vouais la vie qu’elle m’avait donnée. Gina m’avait-elle remarqué ? le bruit de mon admiration fanatique était-il parvenu jusqu’à elle ? et son ame d’artiste, son ame enthousiaste et neuve avait-elle rêvé quelquefois à celle qui lui devait ses joies et ses délices ? Je l’ignorai long-temps : mais, étrange bizarrerie de ma destinée ! j’étais heureux, je me disais que l’amour de la gloire remplissait sa vie tout entière, et qu’il n’y avait plus en elle de place pour les autres passions. Elle pleurait aux applaudissemens d’une foule idolâtre, elle riait à une parole d’amour ; je n’avais donc pas de rival à craindre. Après le bonheur de l’aimer, il n’y avait rien de plus enivrant que le bonheur d’être aimé d’elle ; je n’y croyais pas, et, persuadé qu’elle dépensait tout son cœur dans ses chants, qu’elle le jetait tout entier sur la scène, je puisais dans l’activité qu’elle avait fait éclore en moi le sentiment exquis et pur d’une félicité sans mélange. Après vous avoir dit mes premières joies sur la terre, je ne vous parlerai ni du bruit que fit dans Vérone mon amour romanesque pour Gina, ni des étranges commentaires que chacun hasarda sur mon compte. Le vulgaire ne comprendra jamais ce qui tranche hardiment avec le commun de la vie ; et comme pour se venger de ne pouvoir comprendre, il s’en rit comme d’une sottise, ou s’en étonne comme d’une folie.

» Cependant deux seigneurs étrangers, voyageant par manie et s’ennuyant partout, arrivèrent à Vérone. Le plus jeune, le comte de C**, fat par principes, sceptique par ton, doutant de tout, excepté de sa beauté et de ses moyens de séduction ; le plus vieux, le duc de R**, profondément égoïste, saturé de plaisirs, prêt à