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de l’éloquence, les amenèrent à prolonger leur réunion fort au delà de minuit. Bruckner était abasourdi et harassé lorsqu’on le reconduisit enfin chez lui. Quelques poignées de mains, et, soudain, l’artiste se retrouva seul, dans son logis de vieil étudiant sans famille et sans fortune, dans ce gîte banal où tout paraissait minable, jusqu’à l’ordre et à la propreté. Une dépêche l’attendait sur son bureau. Elle émanait, ô surprise ! de Johann Strauss. Celui-ci, ravi de la Septième symphonie qu’il venait d’entendre, tenait à manifester immédiatement son enthousiasme. Et voici que, malgré l’heure tardive, la fatigue se dissipait. Bruckner, les mains tremblantes, lisait, relisait sans trêve, comme en extase, le texte de cette dépêche. Volontiers, il fût tombé à genoux pour remercier le bon Dieu d’un hommage où le musicien du Beau Danube bleu avait su mettre tout son cœur.

De tels souvenirs ont leur prix. Mais le prestige durable de la Septième symphonie tient à d’autres causes, et plus spécialement à son adagio. Outre que le flot musical s’épanche ici avec ampleur, un épisode assez intempestif mis à part, on y entrevoit, comme à travers le rideau d’une fenêtre éclairée dans les ténèbres, l’ombre souveraine de Richard Wagner.

Sur cette présence mystérieuse, l’auteur s’est expliqué. Son adagio, déclarait-il, mouvement solennel dans le style des marches funèbres, était conçu, dès l’origine, sous une oppression de cauchemar. Pour la première fois, Bruckner avait compris que son idole, ce génie sans pareil, la vive image du drame lyrique, l’homme qui prêtait à une petite ville bavaroise plus de splendeur que n’en eurent jamais les feux des Mages sur la montagne nocturne, il avait enfin compris que Richard Wagner lui-même pouvait mourir ! Depuis la création de Parsifal, une affection cardiaque, déjà ancienne, s’était réveillée dangereusement. Le malade, trop faible pour les rudes hivers de Bayreuth, cherchait désormais un refuge en Italie. Pour vaincre un héros il suffit de soixante-dix ans, et Wagner arrivait précisément à cet âge. Ses fidèles vivaient dans l’inquiétude, quand soudain, le 13 février 1883, un télégramme de Venise annonça la catastrophe. Bruckner éclata en sanglots. « J’ai pleuré, ce jour-là, disait-il plus tard,