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Je veux expliquer comment, éloigné longtemps de la vraie route, je m’y suis senti ramené par le souvenir chéri d’une personne morte, et comment le besoin de croire qu’elle existait toujours a fait rentrer dans mon esprit le sentiment précis des diverses vérités que je n’avais pas assez fermement recueillies en mon âme. Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n’a pas foi dans l’immortalité, dans ses peines et dans ses joies : — je croirai avoir fait quelque chose d’utile en énonçant naïvement la succession des idées par lesquelles j’ai retrouvé le repos et une force nouvelle à opposer aux malheurs futurs de la vie.

Les visions qui s’étaient succédé pendant mon sommeil m’avaient réduit à un tel désespoir, que je pouvais à peine parler ; la société de mes amis ne m’inspirait qu’une distraction vague ; mon esprit, entièrement occupé de ces illusions, se refusait à la moindre conception différente ; je ne pouvais lire et comprendre dix lignes de suite. Je me disais des plus belles choses : Qu’importe ! cela n’existe pas pour moi. Un de mes amis, nommé Georges, entreprit de vaincre ce découragement. Il m’emmenait dans diverses contrées des environs de Paris, et consentait à parler seul, tandis que je ne répondais qu’avec quelques phrases décousues. Sa figure expressive, et presque cénobitique, donna un jour un grand effet à des choses fort éloquentes qu’il trouva contre ces années de scepticisme et de découragement politique et social qui succédèrent à la révolution de Juillet. J’avais été l’un des jeunes de cette époque, et j’en avais goûté les ardeurs et les amertumes. Un mouvement se fit en moi ; je me dis que de telles leçons ne pouvaient être données sans une intention de la Providence et qu’un esprit parlait sans doute en lui… Un jour, nous dînions sous une treille, dans un petit village des environs de Paris ; une femme vint chanter près de notre table, et je ne sais quoi, dans sa voix usée mais sympathique, me rappela celle d’Aurélia. Je la regardai : ses trait mêmes n’étaient pas sans ressemblance avec ceux que j’avais aimés. On la renvoya, et je n’osai la retenir, mais je me disais : Qui sait si son esprit n’est pas dans cette femme ! et je me sentis heureux de l’aumône que j’avais faite.

Je me dis : J’ai bien mal usé de la vie, mais si les morts pardonnent, c’est sans doute à condition que l’on s’abstiendra à jamais du mal, et qu’on réparera tout celui qu’on a fait. Cela se peut-il ?… Dès ce moment, essayons de ne plus mal faire, et rendons l’équivalent de tout ce que nous pouvons devoir. — J’avais un tort récent envers une personne ; ce n’était qu’une négligence, mais je commençai par m’en aller excuser. La joie que je reçus de cette réparation me fit un bien extrême ; j’avais un motif de vivre et d’agir désormais, je reprenais intérêt au monde.

Des difficultés surgirent : des évènements inexplicables pour moi