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derrière nous. En y jetant par hasard un coup d’œil, il me sembla reconnaître A***. Elle semblait triste et pensive, et tout à coup, soit qu’elle sortît de la glace, soit que, passant dans la salle, elle se fût reflétée un instant auparavant, cette figure douce et chérie se trouva près de moi. Elle me tendit la main, laissa tomber sur moi un regard douloureux et me dit : « Nous nous reverrons plus tard… à la maison de ton ami. »

En un instant, je me représentai son mariage, la malédiction qui nous séparait… et je me dis : Est-ce possible ? reviendrait-elle à moi ? « M’avez-vous pardonné ? demandai-je avec larmes. » Mais tout avait disparu. Je me trouvais dans un lieu désert, une âpre montée semée de roches, au milieu des forêts. Une maison, qu’il me semblait reconnaître, dominait ce pays désolé. J’allais et je revenais par des détours inextricables. Fatigué de marcher entre les pierres et les ronces, je cherchais parfois une route plus douce par les sentes du bois. — On m’attend là-bas ! pensais-je. — Une certaine heure sonna… Je me dis : Il est trop tard ! Des voix me répondirent : « Elle est perdue ! » Une nuit profonde m’entourait, la maison lointaine brillait comme éclairée pour une fête et pleine d’hôtes arrivés à temps. — Elle est perdue ! m’écriai-je, et pourquoi ?… Je comprends, — elle a fait un dernier effort pour me sauver ; — j’ai manqué le moment suprême où le pardon était possible encore. Du haut du ciel, elle pouvait prier pour moi l’Époux divin… Et qu’importe mon salut même ? L’abîme a reçu sa proie ! Elle est perdue pour moi et pour tous !… Il me semblait la voir comme à la lueur d’un éclair, pâle et mourante, entraînée par de sombres cavaliers… Le cri de douleur et de rage que je poussai en ce moment me réveilla tout haletant.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! pour elle et pour elle seule ! Mon Dieu, pardonnez ! m’écriai-je en me jetant à genoux.

Il faisait jour. Par un mouvement dont il m’est difficile de rendre compte, je résolus aussitôt de détruire les deux papiers que j’avais tirés la veille du coffret : la lettre, hélas ! que je relus en la mouillant de larmes, et le papier funèbre qui portait le cachet du cimetière. — Retrouver sa tombe maintenant ? me disais-je, mais c’est hier qu’il fallait y retourner, — et mon rêve fatal n’est que le reflet de ma fatale journée !

III

La flamme a dévoré ces reliques d’amour et de mort, qui se renouaient aux fibres les plus douloureuses de mon cœur. Je suis allé promener mes peines et mes remords tardifs dans la campagne, cherchant dans la