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de chaque siècle, et cela me représentait l’aspect des fouilles que l’on fait dans les cités antiques, si ce n’est que c’était aéré, vivant, traversé des mille jeux de la lumière. Je me trouvai enfin dans une vaste chambre où je vis un vieillard travaillant devant une table à je ne sais quel ouvrage d’industrie. — Au moment où je franchissais la porte, un homme vêtu de blanc, dont je distinguais mal la figure, me menaça d’une arme qu’il tenait à la main ; mais celui qui m’accompagnait lui fit signe de s’éloigner. Il semblait qu’on eût voulu m’empêcher de pénétrer dans le mystère de ces retraites. Sans rien demander à mon guide, je compris par intuition que ces hauteurs et en même temps ces profondeurs étaient la retraite des habitants primitifs de la montagne. Bravant toujours le flot envahissant des accumulations de races nouvelles, ils vivaient là, simples de mœurs, aimants et justes, adroits, fermes et ingénieux, — et pacifiquement vainqueurs des masses aveugles qui avaient tant de fois envahi leur héritage. Hé quoi ! ni corrompus, ni détruits, ni esclaves ; purs, quoique ayant vaincu l’ignorance ; conservant dans l’aisance les vertus de la pauvreté. — Un enfant s’amusait à terre avec des cristaux, des coquillages et des pierres gravées, faisant sans doute un jeu d’une étude. Une femme âgée, mais belle encore, s’occupait du soin du ménage. En ce moment, plusieurs jeunes gens entrèrent avec bruit, comme revenant de leurs travaux. Je m’étonnais de les voir tous vêtus de blanc ; mais il paraît que c’était une illusion de ma vue ; pour la rendre sensible, mon guide se mit à dessiner leur costume qu’il teignit de couleurs vives, me faisant comprendre qu’ils étaient ainsi en réalité. La blancheur qui m’étonnait provenait peut-être d’un éclat particulier, d’un jeu de lumière où se confondaient les teintes ordinaires du prisme. Je sortis de la chambre et je me vis sur une terrasse disposée en parterre. Là se promenaient et jouaient des jeunes filles et des enfants. Leurs vêtements me paraissaient blancs comme les autres, mais ils étaient agrémentés par des broderies de couleur rose. Ces personnes étaient si belles, leurs traits si gracieux, et l’éclat de leur âme transparaissait si vivement à travers leurs formes délicates, qu’elles inspiraient toutes une sorte d’amour sans préférence et sans désir, résumant tous les enivrements des passions vagues de la jeunesse.

Je ne puis rendre le sentiment que j’éprouvai de ces êtres charmants qui m’étaient chers sans que je les connusse. C’était comme une famille primitive et céleste, dont les yeux souriants cherchaient les miens avec une douce compassion. Je me mis à pleurer à chaudes larmes, comme au souvenir d’un paradis perdu. Là, je sentis amèrement que j’étais un passant dans ce monde à la fois étranger et chéri, et je frémis à la pensée que je devais retourner dans la vie. En vain, femmes et enfants se pressaient autour de moi pour me retenir. Déjà leurs