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comme poésie écrite, qu’à la Comédie-Française, comme poésie dite, à laquelle contribuent tous les poètes parnassiens et autres, mobilisés comme bardes du siège : Leconte de Lisle, Sully Prudhomme, Catulle Mendès, François Coppée, Émile Bergerat, Eugène Manuel. Nous imaginons mal aujourd’hui la popularité que gardèrent pendant vingt ans des chromos aussi grossiers que la Lettre d’un Mobile breton, le Maître d’École ou la Colère d’un Franc-Tireur.

La gloire que, durant ce même quart de siècle, connut Paul Déroulède se légitime mieux, et fait partie du climat des années quatre-vingts. Il figura la poésie patriotique parce qu’on le connaissait comme le poète patriote, et que les Chants du Soldat étaient les chants d’un soldat courageux dont on savait les sacrifices tangibles à la patrie. Ils puisaient leur prestige dans une destinée voulue, consacrée tout entière à l’entretien du patriotisme et à un service aussi militaire que pouvait le fournir un officier devenu civil par accident physique. Ils étaient gauches, oratoires, étrangers aux coupes et aux artifices parnassiens, mais leur allant, leur pas de chasseur à pied, leur sincérité, leur appel direct aux sentiments de tous, leur valurent une diffusion immense. Les écoliers les apprenaient, et en 1914 ils habitaient encore la mémoire de milliers de territoriaux. Écrits pour former la génération de la revanche, ils ne prétendaient pas lui survivre, ils n’ont même pas survécu, comme livre, à l’affaire Dreyfus, qui limita à un parti politique l’influence de Déroulède.

Quant à moi, le farouche et vieux crieur de guerre,
Que je survive ou non au choc libérateur,
Mon œuvre, je le sais, ne lui survivra guère,
Et mes Chants du soldat n’auront plus de chanteur.

Oui, oui, l’heure viendra — qui prévoit peut prédire —
Où ces cris de fierté, chers au pays vaincu,
Au pays consolé sembleront un délire ;
Où nul ne comprendra la haine où j’ai vécu.

Il est remarquable que la guerre de 1914 n’ait pas produit un Déroulède, n’ait suscité rien de comparable à la poésie patriotique issue de la guerre de 1870. Les Hymnes de Joachim Gasquet sont un des rares livres de guerre qui, inspirés