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je dois trotter, clopin-clopant, de mars à septembre, pour deux francs par tête de bétail.

— Oui, Nastasse, tu es aussi tourmenté que moi, — acquiesça le pope.

Et, fouillant dans la poche de sa soutane rapiécée, il en tira une petite bouteille.

— Tiens, Nastasse, bois une gorgée de cette bonne tsouïca ! Cela fait passer le chagrin.

Père Simion n’était plus prêtre que de nom. Son église, comme la plupart des églises villageoises, était fermée pendant toute la semaine, faute de fidèles. Dimanches et fêtes, quelques vieilles accablées de courbatures assistaient à la liturgie. Elles lui laissaient quelques francs pour les cierges lors des deux tournées du sacristain, qui passait avec le plateau, en criant comme à des sourds :

— Pour l’é-gli-i-se ! Pour l’hui-i-le !

Des morts il y en avaient rarement, ainsi que des mariages et des baptêmes. Au premier du mois, lorsque le pope allait bénir les ménages, on lui jetait, dans l’eau bénite de son chaudron, des boutons et des centimes, au lieu de sous.

Mais les gens l’aimaient, car il était tolérant et drôle. On racontait de lui une histoire amusante.

En vieillissant, la mémoire le trahissait souvent. Aussi, pour pouvoir répondre sans défaillance aux chrétiens qui lui demandaient, à brûle-pourpoint, « combien de jours il restait encore jusqu’à Pâques », il avait pris l’habitude, au début du grand Carême, de se munir d’autant de grains de maïs qu’il y avait de jours jusqu’à Pâques. Et chaque jour il jetait un grain. De cette façon, lorsqu’un paysan lui posait la question embarrassante, il sortait de sa poche tous les grains, les comptait et répondait avec précision. Mais, une fois, un diable de gamin lui glissa dans sa soutane une poignée de maïs. Alors, ce fut en vain que le pauvre pope jeta son grain quotidien, il en restait toujours trop, et la grande fête approchait. Aussi cette fois-là, pressé de questions, le pope finit-il par montrer aux gens le tas de maïs qui gonflait sa poche et répondit :

— Plus de Pâques, cette année-ci !