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LES CHARDONS DU BARAGAN[1]


Et voici le jour de mon éloignement dans le monde… Je l’attendais, prêt à tout. Il me fut particulièrement favorable.

Ce matin-là, — en partant avec d’autres hommes pour aller chercher deux charriots de fourrage à Giurgeni, — mon père me dit :

— Hier soir, après la bourrasque, j’ai vu les porcs « charrier » de la paille dans leur gueule. Cela veut dire que le « Crivats » se mettra à souffler aujourd’hui ou demain. Ne me fais pas des histoires avec ces chardons ! Passons l’hiver ici… Au printemps on verra.

Je ne répondis rien, et il sut à quoi s’en tenir, car il m’embrassa. Pauvre père… Mais c’est ainsi : chacun avec sa destinée. Si la mienne a changé du tout au tout, si aujourd’hui je fais ce que bon me semble dans ma maison et sur ma terre, c’est, en grande partie, à cette étourderie d’enfant désobéissant que je le dois.

Le Roumain est une créature curieuse. Je n’ai jamais entendu parler d’un peuple qui sache, mieux que le nôtre, chanter ses joies et ses douleurs, et qui soit en même temps si humble, si docile, si tristement replié sur le trop peu que la vie lui octroie.


Il y avait à la ferme quatre gamins et trois fillettes, maigres, sales, pieds nus et loqueteux, comme moi. Pour la grande ruée des chardons, ils se contentaient de molles velléités :

  1. Voir la Revue de Paris du 1er mai.