Page:Revue de Paris, 29è année, Tome 5, Sep-oct 1922.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Par orgueil, il se fait ermite, puis pèlerin. Voyage à travers la Russie. Amour. Soif d’humiliations, etc., etc.

» Riche canevas. — Chute et relèvement. « Homme extraordinaire. Mais qu’a-t-il fait et accompli ?

» Par orgueil, par un sentiment d’élévation ultime au-dessus des hommes, il se montre doux et bienveillant pour tous, précisément parce qu’il se sent au-dessus de tous.

» À un moment, il a l’intention de se suicider.

» Il finit par installer chez lui un asile et une maison d’éducation pour enfants. Il s’inspire de l’exemple de Haas. »

Haas était, au début du siècle dernier, médecin des prisons de Moscou. Il mit à profit sa situation pour adoucir les souffrances des prisonniers, rendre moins barbare le port des chaînes par les forçats. Il racheta aux seigneurs les enfants dont les parents serfs, étaient envoyés au bagne, fonda des hôpitaux pour les prisonniers libérés, distribua des livres de piété aux bannis, les réconforta de loin par ses lettres. Il soigna gratuitement sa clientèle indigente, en lui fournissant en même temps des médicaments ; pendant l’épidémie de choléra, il demeura en contact constant avec les malades, jusqu’à prendre un bain après un cholérique, afin de rassurer ses confrères sur les dangers de contamination. Vivant lui-même dans une étroite chambre, où les instruments de laboratoire tenaient lieu de mobilier, se privant et distribuant aux nécessiteux les grosses sommes que les bienfaiteurs lui remettaient, il demeurait toujours à l’affût d’une bonne action. Il finit par prendre figure de saint aux yeux de la population moscovite.

Le « grand pécheur » allait finir lui aussi dans un rayonnement. Mais, note Dostoïevsky : « Il meurt, après s’être confessé de ses crimes. »

Le plan de La Vie d’un grand Pécheur, si informe et si incomplet qu’il paraisse, est marqué cependant en contours assez accentués pour que, étayé de la documentation des écrits privés de l’auteur, il nous permette de juger à sa valeur la conception dernière de Dostoïevsky.