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Ces manifestations de l’opinion ne produisirent aucun effet sur le secrétaire d’État. Les voix des classes opprimées furent noyées dans la grande clameur de l’intelligentsia, ou étouffées par intimidation ; elles n’en représentent pas moins les sentiments réels des masses.

Un double rapport, signé par le Secrétaire d’État et par le Vice-Roi, fut publié en 1918. Il contenait de nombreuses inexactitudes et mettait en valeur les fâcheux effets d’une politique qui troublait délibérément le contentement d’une masse de 320 millions d’Asiatiques susceptibles. Les auteurs du rapport envisageaient la possibilité des pires catastrophes.

Des représentants des divers groupements engagés dans l’agitation politique vinrent à Londres pour exposer leurs vues devant un Comité parlementaire ; mais pas un seul témoin ne parlant pas anglais ne fut entendu[1], et aucun représentant des classes guerrières ne fut autorisé à donner son avis. Le Bill donnant à l’Inde une constitution occidentale compliquée fut dressé, et, dans une commission des deux Chambres, le Secrétaire d’État trouva le moyen d’aggraver encore les premières dispositions, tendant pourtant déjà à affaiblir l’autorité britannique. Ce Bill dangereux fut présenté en hâte au parlement et défendu en invoquant deux raisons principales, fausses toutes deux : 1° Il fut exposé que la superbe contribution des classes guerrières à la guerre nécessitait, comme récompense, de grandes concessions politiques. (Notez que ces classes ont toujours répugné à se soumettre et ne se soumettront jamais à une petite oligarchie d’intelligentsia) ; 2° Il fut représenté que le vote du Bill rétablirait la tranquillité dans l’Inde. En réalité, cela ne fit que donner un aliment à l’agitation anti-britannique sous toutes ses formes, qu’exaspérer la haine de races qui constitue le plus triste trait de la situation présente. Ici, peu de personnes tentèrent de se rendre compte de la portée de mesures, compliquées à l’extrême, et ne pouvant être comprises par ceux qui n’étaient pas parfaitement au courant de notre précédent système de gouvernement dans l’Inde ; et bien peu de Français peuvent se rendre compte de la portée réelle de cette décision quasi révolu-

  1. Les Indiens ne parlant pas anglais représentent 99 p. 100 de la population.