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ne vient pas, car la Révolution est terminée. Ils ont été jetés au trône par la dernière vague révolutionnaire, il n’y a plus de nouvelle vague, et il n’y a déjà plus de quoi les balayer. L’esprit de la Révolution, l’esprit de la protestation active, furieuse, aveugle même, qui précipitait dans la rue, aux armes, à la lutte, s’est éteint il y a déjà quelques mois. Fais ce que tu veux, Lénine ; ta bestialité et ta trahison seront supportées… Et ce n’est pas un élan révolutionnaire qui emportera Lénine, mais une sorte de force indépendante, presque étrangère et presque indifférente : elle le prendra et le jettera dehors. Tous s’en réjouiront.


29 juillet, matin : — Je ne plains pas Nicolas II ; je l’ai trop détesté jadis pour passer à un autre sentiment aujourd’hui… Mais son exécution est monstrueuse, intolérable pour l’intelligence et la conscience humaine, comme l’incarnation de la bêtise, de la monstrueuse et misérable bassesse. Tout dans le monde se soumet à la loi de la forme, et il est impossible que le dernier des Commènes, ou des Bourbons, ou des Stuarts, ou des Romanoffs finisse ses jours parce qu’une vache l’a éventré, ou que, dans une encoignure, l’a « fusillé » un voyou ivre, digne lui-même du gibet et du mépris.

La tête de saint Jean-Baptiste sur un plat d’or, c’est une tragédie ; mais la même tête sur une assiette cassée, à côté d’un reste de cornichon, et d’une queue de hareng, c’est une pure bêtise. Ou bien… est-ce le début d’une nouvelle tragédie ? « Tragœdia russica », comme choléra asiatica ? Ou bien la vache mauvaise doit-elle aussi prendre sa place dans les destinées du peuple russe ?

J’ai vu Nicolas souvent, parfois de près ; Je me rappelle les funérailles d’Alexandre, le couronnement, je me rappelle les merveilleux golfes de Petkopas et le Standart minutieusement gardé, provoquant l’envie, devant lequel je me glissais furtivement sur le Daleky. La dernière fois, j’ai examiné attentivement et longuement Nicolas à la Douma, lors de sa fameuse visite : il se tenait immobile, et du revers de la main il corrigeait sa moustache, tandis que les députés hurlaient à tue-tête Boje Tsaria Khrani (à propos, j’ai été