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des ignorants, les Russes, eux, sont des ignorants convaincus, et ils rient de la psychologie comme ils rient des revenants. Qui l’a vue ? Allons donc ! Karl Marx, ça oui… Voilà pourquoi, tout en voulant plusieurs fois le faire, je n’ai pas écrit dans le journal que je dirigeais sur les thèmes de psychologie révolutionnaire ; c’était inutile, ils n’auraient rien compris et auraient tout travesti.

Ainsi des fous véritables. Véritables ! Ah là, là !

Ce matin, juste au-dessus de nous volait un aéroplane, à quelques 700 mètres. Dieu que c’est beau et comme cela m’émeut chaque fois d’enthousiasme ! Des idiots et qui volent — raisonnez après cela ! Et hier, avec des larmes secrètes, j’ai lu comment les Anglais ont enterré solennellement, avec les honneurs militaires, l’aviateur allemand Richthofen, qui avait abattu près de 80 appareils. — Quelle générosité !


19 mai, soir. — Hier soir, la tristesse a déferlé sur moi, cette même tristesse, féroce et terrible, que je combats comme la mort même. Le prétexte en était les journaux, la cause, la fin de la Russie et de la Révolution, et avec elle la fin de toute ma vie. De toutes ses forces on s’accroche à l’existence ; dans un bon travail de la terre on cherche ses fraîches sources ; sur les enfants, on bâtit le prolongement de la vie ; et il semble que, pour une minute, l’âme est soulagée et qu’on respire plus librement et plus facilement. Mais ce répit est fragile comme le sommeil. Les fusillades de Vyborg (si la Rietch dit la vérité) m’ont ému jusqu’à la torture. J’ai tellement pitié de nos officiers ; ce sont les hommes les plus malheureux et les plus innocents, à l’égard desquels, mieux que pour quiconque, s’est manifestée toute notre férocité, notre muflerie et notre injustice. Il aurait fallu leur procurer du calme, du repos, de la joie ; après la guerre il aurait fallu les soigner toute la vie, les saluer, leur céder partout la première place. Or, chacun cogne sur eux en passant, avec facilité et même avec un certain plaisir. Et ce sombre Vyborg, qui a déjà vu une scène insensée et mauvaise de jugement de Lynch, organisée par des déments contre des officiers et qui la voit répétée maintenant à l’aide de mitrailleuses ! La mitrailleuse ! J’ai