— Quelle hypothèse préférez-vous ?
— La seconde. Elle est plus conforme à ce que nous savons des actions atomiques et pré-atomiques.
Ils marchèrent quelque temps sans rien dire, puis Gourlande demanda :
— Les Givreuse savent-ils quelque chose de ce que je vous ai révélé ?
— Rien. Il vaut mieux qu’ils ignorent. Leurs vies deviennent régulières. J’ai pu régler la destinée de celui qui se nomme Philippe, à l’aide de papiers qui me furent laissés par un pauvre homme, mort subitement dans ma clinique… J’ai attribué ces papiers au second Givreuse, sans faire grief à aucune créature… De plus j’adopterai Philippe… J’ai pour lui une affection bizarre et son avenir me captive.
Le vent s’enflait sur l’Atlantique, le flux rugissait, plein de la fureur mystérieuse des éléments :
— La vie ! La vie ! — soupira Savarre. — Qu’est-ce que votre maître pensait de la vie ?
— Elle le désespérait. Il l’interrogeait par des expériences prodigieuses, mais elle ne se livrait point. Elle demeurait pour lui la même énigme que pour les humbles femmes prosternées dans la pénombre des églises. Néanmoins, il croyait qu’elle avait sa source profonde dans les espaces nébulaires[1]. La vie terrestre n’est qu’un moment : elle préside à de mystérieuses métamorphoses individuelles ou générales.
— Individuelles ou générales ! — exclama Savarre. — Mais si elles sont individuelles, nous ne finissons pas ici ? Votre maître croyait donc à l’immortalité ?
— Croire !… Non, il ne croyait pas, il se bornait à des hypothèses. Et d’abord, il posait que l’être, quel qu’il soit, est multiple. L’unité, telle que l’ont, de tout temps, conçue les spiritualistes, ne lui apparaissait nulle part. Malgré cela, il imaginait des vies immortelles.
— Des âmes ?
— Pas exactement. Dans l’homme, par exemple, il y aurait plusieurs sortes de structures. Les premières formeraient un être composé d’êtres, donc sans unité essentielle, mais indivi-
- ↑ Grantaigle désignait probablement ainsi les espaces interstellaires.