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ÉPILOGUE


Thérèse marchait avec Philippe, à l’ombre des hêtres rouges.

C’était le jour du départ. Dans peu d’heures, madame de Lisanges s’éloignerait sur le vaste Atlantique. Une lourde détresse et d’amers regrets étaient en elle. Par intervalles, elle élevait un visage plein de fièvre vers Philippe ; lui, plus triste encore, était ravagé par son amour comme par une maladie. Un étonnement hagard passait en rafales : comment était-il possible qu’il désirât, avec cette force neuve, la femme qui avait été sa maîtresse ? Parce qu’elle le croyait un autre homme, voilà qu’elle-même devenait une autre femme ! Et même, en un sens, elle se montrait plus énigmatique que si, véritablement, elle avait été une inconnue. Il n’essayait plus de comprendre, son agitation était trop vive, mais il sentait que, seul parmi les humains, il pouvait percevoir une aussi fantasque métamorphose.

De telles sensations étaient étrangères à Pierre, ses rapports avec les êtres familiers demeurant, sinon identiques, du moins semblables…

Une sonnerie lente et vieillotte retentit à une tour voisine :

— Dans peu de temps, nous ne serons plus seuls ! — chuchota Thérèse.

Subitement, elle prit le bras de Philippe, elle demanda d’une voix véhémente :

— Pardonnez-moi, Philippe… je crains de vous avoir fait beaucoup souffrir et de vous avoir paru bien cruelle…

La main si vivante tremblait sur le poignet de Philippe :

— Je ne pouvais agir autrement ! Puisque vous avez voulu l’épreuve — c’est vous qui êtes venu ! — et que vous ne me déplaisiez point… Que faire ? L’amour n’est pas un jeu pour moi… Je l’ai toujours redouté comme la pire misère et souhaité comme la plus haute beauté… Plus je vis, plus je veux qu’il soit profond et durable. Alors, n’est-ce pas, je devais vous décourager tout de suite ou vous soumettre à une dure attente. Je n’ai pu vous décourager — vous m’étiez cher,