— J’ai rencontré Thérèse, — dit-il, dès qu’ils furent seuls.
Philippe devint pâle ; la jalousie passa en rafale :
— Où ? — demanda-t-il d’une voix rauque.
— Sur la route d’Avranches.
— Elle doit l’avoir voulu.
— Je ne crois pas… L’entrevue a été courte et si insignifiante !
Philippe marcha quelque temps le front bas ; une ride profonde rapprochait ses sourcils ; une sévérité chagrine contractait ses lèvres :
— Il ne faudrait pas que mes épreuves s’aggravent, — dit-il enfin. — Je me suis violemment conformé au sort ; j’ai voulu qu’il n’y eût aucune rivalité de fait entre nous… Thérèse t’est-elle complètement indifférente ?
— Complètement.
— Eh bien ! moi, je l’aime…
— Tu l’aimes ! — exclama Pierre.
L’évolution de sa vie ressemblait si peu à celle de Philippe, qu’il en demeura abasourdi. Il ne concevait pas que, ayant aimé Valentine, on pût se remettre à aimer madame de Lisanges.
— Oui, — reprit Philippe. — Et remarque que je ne l’aime pas par un retour du passé, le passé serait presque un obstacle ; je l’aime pour un renouvellement de ma personne et de la sienne, qui est aussi inexplicable que notre unité… Sans doute, je n’ai pas entièrement cessé d’aimer Valentine, mais désormais, l’abandon de cet amour n’est plus tragique. Thérèse, même si elle ne m’aime pas, m’a délivré… Souffrir pour elle, c’est une souffrance normale. Comprends-tu pourquoi il me faut l’entière certitude de ton indifférence ?
Pierre l’écoutait, ébloui. La jeunesse de l’univers rentrait en lui, toutes les grâces éparses que l’espérance rassemble dans le ciel et sur la terre. Il espérait comme on respire la jeune brise du matin.
— Est-ce vrai ! — bégaya-t-il. — Oh ! si tu savais comme Thérèse est lointaine… comme elle se perd dans les ténèbres…
— C’est plus que je n’en demandais. Sois libre… Entre Valentine et toi, il n’y a plus d’obstacle…
Ils étaient arrêtés dans un coin tout resplendissant de fleurs