— Mais, — reprit Pierre avec confusion, — si pourtant Valentine me préférait ?
Philippe le regarda fixement, étonné de l’intonation :
— Nous n’avons pas le droit de lutter contre les préférences de Valentine.
— Sans doute. Songe cependant que ce serait la suite de circonstances que nous avons voulues.
— Nous devions les vouloir, puisqu’il nous faut être deux !… Pour Valentine surtout, la séparation s’imposait. Il eût été coupable que nous nous fussions disputé cette généreuse créature… Quoi qu’il arrive, je ne me plaindrai point…
— Si tu es sacrifié ?
— Sacrifié ! Par qui ?… Ce n’est ni toi ni moi qui avons décidé que je partirais… c’est le sort.
— Nous aurions pu renoncer l’un et l’autre.
— Pourquoi ? Ç’aurait été deux déchirements au lieu d’un seul… et peut-être une grande douleur, un amer souvenir pour elle. Si elle te préfère, je m’inclinerai sans révolte.
— Tu souffriras…
— Sans doute. J’ai appris… j’apprends chaque jour cette souffrance-là.
Pierre entendait, sous les paroles, le sourd frémissement d’une âme. Il y avait du stoïcisme dans l’attitude de Philippe. Pierre eut mal du mal de son compagnon et toutefois, il sentait que, maintenant, une vie secrète commençait à les séparer. À deux reprises, il voulut faire sa confidence. Il ne le put. Chaque fois, un instinct équivoque l’arrêtait…
Philippe devinait confusément cette hésitation ; elle l’oppressait mais il était résolu à ne rien faire pour la vaincre…
— Quoi que tu fasses, — dit-il avec une brusque tendresse… — je n’aurai aucun reproche à te faire… Quand j’ai quitté le château, nous étions exactement l’un comme l’autre. C’est la séparation qui a créé une différence … sinon de fond, au moins de surface… Ce que tu feras, je l’aurais fait !
— Ne crois pas que je lui aie parlé d’amour ! — fit Pierre d’une voix plaintive.
— Ne te crois pas contraint de te taire !
Ils se regardèrent ; leur unité reparut, plus forte que toutes les passions et toutes les tendresses…