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dont il se souvenait pourtant, parce qu’elles se rattachaient à une évolution intérieure…

Ce souvenir fit battre le cœur de Philippe, le parfum d’iris et d’ambre qui flottait autour de Valentine semblait le pollen d’une floraison lointaine.

Le site était d’une fraîcheur et d’une finesse extraordinaires. Un herbage pareil aux herbages d’Irlande, un ruisseau qu’enjambait un petit pont couvert à la mode ancienne, une rangée de peupliers noirs, arbres gothiques qui dressent vers le ciel des flèches nuées d’argent et de jade, c’était je ne sais quelle invitation à la joie intime, aux jours pacifiques où se perd une humble et quiète destinée… Il murmura :

— C’est pourtant une terre tragique que celle-ci… Une terre de spoliation et de souffrance… comme partout où les Vikings ont passé !

Elle leva la tête ; leurs regards se croisèrent et se détournèrent :

— Comme elle a l’air paisible, pourtant… comme elle invite à la vie ! — reprit-il.

— Croyez-vous ? — dit-elle. — En automne et en hiver, elle est bien plus triste que les falaises… Et je n’aime pas beaucoup les herbages… je préfère les bois… même les landes…

Il eut un léger tressaillement. Elle venait de redire, à peu près, ce qu’elle avait dit jadis. Il se leva, il se dirigea vers la fenêtre.

Une humble fauvette chanta quelque part, sa voix était pleine des promesses que l’être se fait à lui-même, aux heures où la nature est exorable.

Philippe tomba dans une rêverie, la voix de la fauvette faisait retentir les échos décevants qui réveillent les souvenirs et les vœux. Une strophe monta à ses lèvres, sans qu’il en eût conscience :

La branche au soleil se dore,
Et penche pour l’abriter.
Ses boutons qui vont éclore,
Sur l’oiseau qui va chanter

Une sorte de plainte lui fit tourner la tête. Mademoiselle de Varsannes s’était dressée, blanche, les pupilles palpitantes et la bouche entr’ouverte ; ses mains tremblaient.