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Un matin, madame de Givreuse, avec Valentine, Pierre et Philippe se rendit, dans un village abandonné, au delà de Saint-Michel-les-Loups. C’était une sorte de pèlerinage. Jadis cet endroit relevait des terres du comte de Rougeterre ; une ferme à l’écart, la seule qui eût conservé des hôtes, appartenait encore à la famille. Madame de Givreuse y avait passé des jours très doux, dont elle ne perdait point le souvenir ; Pierre y était venu souvent.

La voiture s’arrêta à l’orée du village. Les quatre visiteurs considéraient avec tristesse ces maisons rassemblées autour d’un clocher en pyramide, un pauvre vieux clocher dévoré par la mousse, le lichen et les pariétaires. Il régnait un étonnant silence. Presque partout, les volets étaient clos parfois on apercevait une petite vitre verdie par le temps ; des chats féroces chassaient dans les pommiers pourris par la vermoulure ; il y avait abondance d’araignées et de némocères.

On se fût cru à la fin des âges. La vie morte planait sur les toitures ; on tendait involontairement l’oreille pour entendre un pas d’homme ou de femme, et l’absence des enfants était plus saisissante encore que celle des adultes.

— Pourtant, nous sommes en France ! — murmura Pierre… — des milliers de créatures n’ont point d’abri… N’est-ce pas aussi saisissant que les ruines d’Herculanum ?

— Et plus triste ! — ajouta madame de Givreuse.

Ils traversèrent le village. La ferme de Jacques Berleux s’étendait derrière un quinconce de hêtres. Elle datait de la royauté. Elle avait été un petit monde où toute l’industrie humaine était représentée on y menuisait, on y forgeait, on y filait, on y tissait ou y construisait des chariots, on y tannait le cuir, on y cuisait des briques et des tuiles. À la rigueur, les habitants eussent pu se passer, presque entièrement, de l’aide des autres hommes. Une lourde muraille enveloppait le verger, le potager et la cour…

Le fermier s’avança sous les pommiers centenaires. C’était un homme âgé, un visage de vieille France aux lèvres rases, aux yeux prudents et au sourire de bon accueil. Il fit une manière de révérence en exclamant :

— Not’dame la comtesse… et monsieur Pierre… J’sommes content de vous vouer !