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Lorsque la réflexion, ou ces rêveries mélancoliques, qui nous projettent dans le futur, les ramenaient à la réalité, lorsqu’ils se disaient qu’il faudrait enfin choisir entre le renoncement total ou l’effacement de l’un d’eux, ils retombaient dans une détresse plus noire.

Aucune scène comme celle de la plage ne s’était renouvelée ni même esquissée… L’attitude de « Pierre » paraissait étrange à Valentine, mais moins étrange qu’on n’eût pu s’y attendre. La crainte qu’elle avait ressentie, parmi les granits, elle ne l’avait point oubliée, elle n’y songeait pas sans un tressaillement, où il y avait de l’effroi, du malaise et le sentiment d’un mystère plus troublant que celui de la ressemblance des deux hommes…

Sa conscience enregistrait leurs moindres actes et leurs moindres paroles, et seule une délicatesse sensitive l’empêchait de les épier.

Leur intimité trahissait de toutes parts des particularités insolites. Elle ne comportait aucune démonstration extérieure ; elle était taciturne ; ils causaient avec les autres, mais non entre eux. Pas l’ombre d’une discussion et moins encore d’une contradiction.

Jamais Valentine ne fut aussi frappée de tout cela qu’un après-midi de mai, tandis qu’elle lisait, assise sur un banc de chêne, au fond du jardin sauvage.

Pierre et Philippe se promenaient. Le plus souvent, ils marchaient côte à côte ; parfois l’un ou l’autre s’attardait à considérer une plante, un insecte, un nuage. Il leur arrivait de se sourire ; et ce sourire impliquait une manière de parallélisme de sensations et de pensées ; pas une seule fois, ils ne parlèrent.

À la fin, ce silence causait à Valentine un véritable malaise, presque de l’angoisse ; il se faisait en elle un travail confus, comme dans les minutes où l’on flotte entre la veille et le sommeil ; elle se croyait sur le point de deviner quelque chose, une lueur passait et repassait, puis tout retombait dans la nuit. Elle était dans une existence inconnue qui froissait son intelligence faite de clarté, son cœur avide de confiance…

L’attitude d’Augustin de Rougeterre ajoutait à ces impressions. Cet homme âpre, aux actes nets et aux paroles simples,