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qu’il s’agissait, en somme, d’une double illusion, provoquée par les souffrances et les blessures, chez deux hommes que le hasard de la naissance avait faits à peu près identiques, et que des circonstances singulières avaient réunis.

Herbelle, comme Formental, fit quelques objections, mais comme Formental, il se désintéressait peu à peu de l’événement et tendait à le croire moins extraordinaire qu’il n’avait imaginé, tout d’abord. Il n’insista guère et acquiesça, lorsque, en le quittant, Savarre lui dit :

— Il reste quelques données obscures, mais je suis à peu près sûr de les expliquer…


Savarre explora le champ de bataille. Il ne vit rien de particulier, sinon le château de Grantaigle. Les habitants qu’il interrogea lui firent des récits émouvants : il s’y intéressa, mais n’y découvrit rien qui se rapportât à son enquête. Par acquit de conscience, il alla visiter un vieux rebouteux qui passait pour avoir opéré des guérisons miraculeuses.

Le bonhomme habitait au milieu de la lande, dans une cahute que les obus avaient respectée. Il avait une bonne tête de sorcier, assez diabolique, les yeux pers, aussi dilatables que des yeux de hibou, un long visage à barbe de bouc, et des cheveux épais « en serpents », qui poussaient sauvagement.

La visite de Savarre l’inquiéta ; il prit un air idiot. Encouragé par un billet de vingt francs, il se décida à faire quelques confidences. Elles étaient naïves, amusantes et vieillottes. Il possédait des recettes, pas plus mauvaises que d’autres, et, à la longue, il avait acquis une certaine science fruste, mais il ne pouvait être d’aucune utilité à Savarre.

Le neurologue explora Grantaigle. Un vieux jardinier, sourd et tombé en enfance, en était le seul habitant. Le neurologue apprit que le maître du château avait disparu, que les domestiques avaient été tués ou s’étaient enfuis.

Il visita inutilement des décombres. Les habitants du pays lui donnèrent quelques précisions sur le châtelain, Antoine de Grantaigle.

C’était un homme de cinquante-cinq ans environ, qui avait eu, jadis, une demi-célébrité : on connaissait de lui trois ou quatre découvertes intéressantes sur la chimie physique.