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— Alors, si cela ne s’expliquait jamais ?

— Ce serait un petit fait de plus à ajouter à l’infini des faits inexplicables. Du reste, tout est inexplicable, au fond. L’explication humaine n’aboutit qu’à ranger parmi les choses familières ce qui ne nous était pas familier. Seulement les choses familières ne sont pas plus connues que les autres !…


VIII


C’était un jour d’hiver mou et charmant, où de longs nuages se poursuivaient au-dessus des flots intarissables. Des barques de pêcheurs voguaient très loin, étrangement nettes, et qui, toutefois, semblaient enveloppées d’une brume. Deux frégates aux ailes tranchantes planaient sur les îles, un grand goéland cinglait dans la majesté douce de l’heure, tandis que la mer, soulevée d’un battement ample et jeune, semblait au matin de sa naissance, dans les temps éternels.

Les deux soldats avaient accompagné Valentine sur la plage. Les falaises élevaient des citadelles chaotiques, où se creusaient des cavernes dont les plus hautes abritaient encore des hommes au moyen âge.

Les promeneurs marchèrent longtemps en silence. Il y avait plénitude de vie dans leurs poitrines. Autour d’eux, la nature était, comme toujours, une amie et une ennemie. Ils puisaient la force en elle, à chaque respiration, mais elle les enveloppait aussi de sa perpétuelle menace et de son inlassable destruction.

L’amour qui les exaltait était une émanation d’elle — comme elle, il les emplissait constamment d’énergie heureuse, et comme elle, il ne cessait de leur souffler l’inquiétude. Cette belle fille dont les jupes frémissaient au vent, ce visage pâle et plus nuancé que les nuages, et le fruit écarlate de cette bouche, leur chantaient un hymne plus passionné que les vents d’équinoxe.

Ils étaient maintenant pleins de force, quoique leur marche fût un peu boiteuse, par suite de leurs blessures. Les grandes