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— Dieu ne veut pas qu’on sache ! — fit le comte en joignant les mains. — Que sa volonté soit faite…


VI


Quand madame de Givreuse eut entendu le récit que venait de lui faire Augustin, elle demeura éperdue. Puis, elle demanda :

— Et vraiment, la ressemblance vous paraît absolue ?

— Peut-être existe-t-il quelques faibles, très faibles différences. J’étais trop ému pour les discerner… Mais il semble impossible de soutenir que l’un ressemble plus à Pierre que l’autre !

— Je crois que je ne m’y tromperai point ! — fit rêveusement madame de Givreuse. — Les mères ont un sens de plus, Augustin.

Elle souriait maintenant. Un univers montait en elle, innombrable, qui semblait se perdre dans l’éternité.

Elle cria avec passion :

— Pourquoi n’est-il pas encore auprès de moi ? Comment a-t-il pu me faire attendre ?

— À cause de sa tendresse même… Il a craint…

Elle interrompit fougueusement :

— On m’a caché quelque chose ?… Ses blessures ?…

— Elles n’ont aucune gravité… Mais il est encore maigre et pâle. Sans doute, il aurait pu t’annoncer son retour ; il a craint l’incertitude de la poste et du télégraphe.

Déjà, elle s’était calmée. Une douceur ardente s’exhalait de son visage clair que l’âge n’avait pu ternir, et qu’à peine parcouraient quelques rides fines comme des fils de la vierge. Elle avait les mêmes yeux que Pierre de Givreuse et de grands cheveux à la Montespan où la soie d’or se mêlait d’écheveaux argentés.

— Ah ! qu’il vienne vite ! — chuchota-t-elle.


Elle était debout quand ils entrèrent ; elle s’élança à leur rencontre, mais son élan se brisa, tant la surprise fut profonde.