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colique et aussi ardent que ces nuages de feu et de fumée qui cachaient le soleil mourant.

Il ne comprenait pas cette guerre. Elle était couverte d’une exécrable brume ; elle enfouissait l’héroïsme dans des cavernes, elle dévoilait des ennemis plus abjects que les Niams-Niams ou les Têtes Plates.

Le Temps donnait un communiqué favorable. Augustin de Rougeterre fit un signe de croix et dit à voix basse : « Levez-vous, Seigneur, en votre colère : signalez votre puissance contre nos ennemis… Que le mal qu’ils ont fait se retourne contre eux, que leur injustice retombe sur leur tête… »

Il avait les mains jointes ; les souvenirs de sa jeunesse se levaient avec la prière…

Puis, il tira une lettre de sa poche et la relut :

— Qu’est-ce que cela signifie ? Pierre est-il devenu fou ?… Ou m’a-t-il écrit pendant un délire ?

Il s’assit sur un banc de porphyre et retomba dans son rongement. Les nues crépusculaires passaient lentement au-dessus du rouvre… Un domestique parut qui apportait une carte :

— Bon ! J’y vais !

Augustin se leva et marcha roidement vers l’hôtel.

Deux soldats l’attendaient dans le petit salon.

Il eut un geste brusque, puis, ses yeux s’étant fixés sur les visiteurs, il demeura paralysé : chacun des deux visiteurs était l’image parfaite de l’autre, et leurs images étaient celle de Pierre de Givreuse.

Un souffle passa sur le vieil homme, presque de l’épouvante ; il dit d’une voix creuse :

— Lequel de vous est mon neveu ?

Les soldats échangèrent un regard ; l’un d’eux répondit :

— Nous croyons être, l’un et l’autre, Pierre de Givreuse.

Le comte eut un sursaut qui marquait la stupéfaction avec une nuance de colère :

— Est-ce une mystification ? — cria-t-il. — L’heure est abominablement mal choisie.

— Hélas ! C’est la plus profonde vérité ! — fit celui qui n’avait point parlé.

Leurs voix étaient pareilles comme leurs visages. Une