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ce n’est pas possible. Je pesais, avant mon départ, soixante-seize kilogrammes.

— Il y eut un long silence. La tête de Formental s’inclinait sur sa poitrine. Puis, il chuchota :

— C’est encore plus formidable !


Une scène presque identique se passa avec l’autre blessé. Lui aussi pesait maintenant une quarantaine de kilogrammes, et lui aussi prétendait en avoir pesé soixante-seize au moment de la mobilisation.

Formental résolut alors de risquer une confrontation que semblait permettre l’état des blessés, leur émotivité moyenne, et même plus faible que la moyenne.

En un sens, ils y étaient déjà préparés. L’un et l’autre savaient, par les propos de madame de Bréhannes et de Diane Montmaure qu’il avait une sorte de sosie. Des confidences graduelles achevèrent de les prédisposer à une scène singulière.

Elle eut lieu vers quatre heures de l’après-midi, heure que Formental jugeait la plus favorable. Les deux Givreuse attendaient l’entrevue avec impatience, mais cette impatience n’avait rien d’extrême : leur nervosité demeurait inférieure à la normale.

On les amena presque simultanément dans le cabinet du docteur.

Ils se regardèrent profondément. On voyait palpiter leurs poitrines. Leurs yeux, un peu las d’habitude, s’emplirent de flamme et de joie. Leur émotion se décelait inouïe : elle n’avait rien de déprimant ; elle ressemblait à de l’extase :

Spontanément leurs mains s’unirent :

— Vous vous connaissez donc ? — demanda Louise de Bréhannes ?

Ils répondirent ensemble :

— Nous ne nous sommes jamais vus… et pourtant !

— Lequel de vous deux est Édouard-Henri-Pierre de Givreuse, né à Avranches, en 1889 ? – demanda anxieusement le major.

Chacun des deux dit :

— C’est moi !