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Pour des raisons multiples, le major Formental ne les fit pas installer dans la même salle. Leur cas l’intéressait et le choquait. C’était un homme double. Dans le mystère magnifique et horrible de la vie, il voyait un aboutissement décisif : la mort sans lendemain ; et toutefois il avait un tréfonds religieux.

Au rebours, l’infirmière en chef, Louise de Bréhannes, avait une foi indiscutable, immuable et dénuée de mysticisme.

Le mardi matin, Louise de Bréhannes et Formental se trouvaient au chevet d’un des deux Givreuse. On l’avait nommé Givreuse I, pour le distinguer de l’autre, qui était devenu Givreuse II. Le soldat demeurait immobile, insensible aux êtres, aux voix et à la lumière. Son sommeil était profond ; il respirait régulièrement et sans effort. On voyait le rythme de sa poitrine.

— Température 37.1, — dit Louise de Bréhannes. — Pouls 75.

— Je ne comprends pas, — fit pensivement Formental. — Un engourdissement aussi anormal ne devrait pas être accompagné d’un état aussi normal…

— C’est simplement bon signe ! — affirma Louise de Bréhannes. — La vraie cure de repos…

Elle eut un sourire sévère. Cette grande femme, aux yeux minéraux, au nez en proue et aux lèvres brillantes, avait l’humeur tyrannique.

Deux jeunes infirmières se tenaient à courte distance. Elles étaient émues. L’une d’elles murmura :

— Les longs sommeils suivent souvent la réincarnation…

Celle-là s’appelait Diane Montmaure, une occultiste, en qui persistaient des lambeaux évangéliques.

Formental avait entendu. Il répondit :

— Si le rapport Herbelle est exact, et les pièces officielles tendent à le prouver… ce serait presque le contraire d’une réincarnation…

L’occultiste regarda le médecin. On ne savait pas exactement si elle était châtain clair ou blond foncé : les jeux de la lumière et de l’ombre faisaient prédominer alternativement l’une et l’autre nuances.

Formental eut un pâle sourire.